Chemins de Compostelle , Voie de Tours depuis Peyrehorade – Oeyregave – Léren – St Pé de Léren – Labastide Villefranche – Arancou – Bergouey Viellenave – Labets Biscay – Luxe Sumberraute –Amendeuix Oneix – Garris – St Palais – Uhart Mixe – Ostabat Asme – Larceveau – Gamarthe – Ainice Mongelos – Lacarre – Bussunarits – Publié dans LSPB en 04/2023

Les barthes fument au matin d’avril.

Le printemps est revenu, les refuges jacquaires ont ouvert, je décide d’emprunter la Via Turonensis (« de Tours », ci-dessous couleur tuile), ce chemin de Compostelle qui part de la Tour Saint-Jacques à Paris 4e, remonte la rue du même nom derrière la Sorbonne, traverse d’infinies banlieues puis plaines à blé avant d’arriver chez nous. Mais pas le temps d’aller à Paname, d’une Bayonne endormie le TER me dépose à Peyrehorade. Ultreïa !

Ce n’est pas mercredi et donc pas de marché, on peut franchir sans encombre les Gaves réunis, tant mieux car le pont de Sorde est fermé. A gauche toute (nous sommes dans les Landes) vers Oeyregave le soleil dans les yeux, ça alors la statue métallique devant l’église est bien étrange, « La loutre » raconte l’histoire du village.

Les Gaves réunis

Plus tard on se faufile entre les coteaux, entre élevages de blondes d’Aquitaine et kiwis bien ficelés. Les chatons de vergnes ont déposé leur ouate blanche sur les mares, tandis qu’on entend frémir l’autoroute A64. Ici une ferme basse, ici une maison de maître, au Nord on devine Sorde, son abbaye et ses falaises, habitées depuis le Magdalénien, passage immémorial vers les Pyrénées. Une pancarte annonce que nous sommes entrés dans les Pyrénées-Atlantiques, des arbres fruitiers ont été plantés à destination des pèlerins, je repasserai en août pour la cueillette.

Une prometteuse gravure (signée Duplantier) stylisant le parcours nous vante 8 villages avant Saint-Palais, on peut découvrir le premier avec Léren, ça alors c’est ici cette délicate église aperçue cent fois en bord d’autoroute. Plus tard le chemin évite les bourgs et il faudra s’en détourner pour les visiter. Saint Pé de Léren se pomponne pour le festival gascon Lo Printemps de l’Arribèra, on apprendra que le très fonctionnel complexe fronton / fronton couvert /mairie / salle pour tous a été bâti par des bénévoles.

D’immenses champs labourés ou vastes prairies déploient leur palette de couleurs au frais soleil coupé de nuages, ne pas se découvrir d’un fil. L’ancien hôpital-chapelle d’Ordios a offert son mur Ouest à une ferme, puis le chemin longe la route vers La Bastide-Villefranche, sa magnifique tour navarraise, astucieusement frontonisée par les habitants, et la folie du Château Bijou.

Comme on escalade une colline, sans réveiller quelques truies restées à la sieste, le paysage se met à changer : les formes s’ondulent, les parcelles sont plus petites et verdoient, les Pyrénées surgissent au loin. Ça alors nous sommes entrés en Pays basque, ou plus exactement sa subdivision Xarnegou, basco-béarno-landaise.

Au loin on entend des bruits de carrière, car c’est ici que prend forme la réalité physique du boum immobilier de la Côte : celle-ci dévore en effet des tombereaux de pierres et granulats, extraits entre Arancou, Bergouey, Carresse, et quelques gravières du lit des Gaves.

Le gîte Bourthaïre nous accueille dès l’entrée d’Arancou, Valérie est d’une rare prévenance et déniche de quoi nous sustenter (2 pèlerins), plus tard toute l’équipe du gîte associatif sera là, car il y a foule ce soir. 30 enfants d’une Calendreta paloise (école occitane en immersion, comme une Ikastola) sont en Classa Verda d’avant Pâques.

Véritables militants du village, et bien qu’émigrés vers le BAB, un quatuor fait vivre le Gîte comme étape jacquaire, lieu social pour groupes, et centre culturel. Ils me vantent leur église, mi-gothique mi-romane, merveilleusement restaurée (sans faire exploser le budget). Ici aussi une grotte habitée il y a 15 000 ans, nos ancêtres avaient déjà du goût. La soirée bercée de chants gascons, il faut repartir au matin vers Bergouey.

Là à chaque maison les colombages basques gagnent du terrain, un reliquaire de pompes à essence à compteur mécanique nous rappelle le bon temps des pleins à 50 francs. Le pont à quatre arches de Viellenave franchit la Bidouze au droit du fier moulin Hospitau, nous suivons la rivière plein sud.

Garris

Champs détrempés et bois se succèdent, le chemin serpente entre Labets-Biscay, Amendeuix-Oneix ou Luxe-Sumberraute, au loin de premiers sommets enneigés nous hèlent, on s’élève sur un coteau pour entrer dans Garris. La taille et la qualité du bâti y est exceptionnelle, on y devine une ancienne capitale navarraise, dont la foire aux bestiaux des 31 juillet et 1er août perpétue l’importance.

À nouveau quelques collines mises en remarquable beauté par les lumières du printemps, avant de gagner les faubourgs puis le centre de Saint-Palais. Ça alors, nous n’avions pas vu un bistrot depuis Peyrehorade, ici ils abondent et il y a même un cinéma, Saint-Palais a la chance d’être assez éloignée de Bayonne ou Pau pour avoir conservé son autonomie de vie. Un brin d’enclavement vaut parfois mieux qu’une excessive desserte !

Le balisage est un peu pâli mais le chemin est naturel, les jacquets venus de Vézelay nous rejoignent dans la rue du Palais de justice, ancien cœur de la bastide navarraise. A noter que la rivière Joyeuse aperçue ici est distincte et homonyme de celle d’Hasparren/Aran. On longe de futurs lotissements (ici le rêve pavillonnaire est encore accessible) avant que le relief se rappelle à nous : finie la douce vallée de la Bidouze, nous nous élevons vers le ciel par un raide rampaillon, mais le jeu en vaut la suée.

Quel spectacle ! Le mont Saint-Sauveur, Xalbator en basque, a fini en « Gibraltar »à force de recopies maladroites de son nom, trois statues « Reflet du ciel » évoquent les pèlerins, tandis que Pic du Midi de Bigorre, Jean-Pierre d’Ossau, Annie et Orhy font reluire leurs névés au soleil. Il faut redescendre vers la modeste stèle de Gibraltar (commune d’Uhart-Mixe), où ceux partis du Puy-en-Velay nous rejoignent.

Chapelle de Soiartz

Ensemble nous pouvons à nouveau nous élever vers la chapelle de Soiartz, le panorama est saisissant. Un biskayen tatoué est venu pleurer la défaite de l’Athletic face à Osasuna en demie de Coupe du Roi, il écoute le tube d’Erramun Martikorena, Xalbadorren Heriotzean. Les notes parfaites sur le berger d’Urepel rajoutent au sublime du paysage.

Je laisse une fratrie de trois marcheurs parler football, pour emprunter le détour par la chapelle privée d’Harambeltz. La simplicité faite beauté. On serpente à nouveau dans les bois, au long de curieuses statues molles et dures à la fois (phoques ou vers ?), pour gagner le centre d’Ostabat-Asme. Et un, et deux, et trois bistrots, je ne peux tous les accabler de ma clientèle car je traîne la patte après 34 km de marche. Lucie et Beñat m’attendent en haut à la sortie du bourg pour une de leurs dernières nuits d’hospitaliers, car ils n’auront pas eu besoin d’attendre 64 ans pour partir en retraite.

Garbure, jambon, axoa, fromage et gâteau basque, le marcheur peut se gaver sans crainte car il brûlera tous les excès demain. Nuit d’enclume, et au petit déjeuner nous refaisons le monde, du cousin Léopold parti près des étoiles, des anciennes métairies jusqu’au développement économique de cet « intérieur ».

Car ici on vient chercher le progrès avec les dents, l’ancien presbytère est occupé par le syndicat du fromage Ossau-Iraty (qui achète de la pub sur TF1), un peu plus loin Gamarthe abrite les réussites locales de Pago64 ou de la Ferme Elizaldia. Alors que sur la Côte l’argent semble tomber du ciel, ici on n’envoie plus ses cadets aux Amériques mais on se bat pour son développement.

Après Larceveau, naturellement attirée par Saint-Palais, à la croix de Galcetaburu on va passer de Mixe en Cize, et venir pencher vers Saint-Jean-Pied-de-Port. Je ne résiste pas à m’inviter au café et saluer une amie travaillant à Laborantza Ganbara, cette vraie-fausse chambre d’agriculture basque qui fait tant pour notre ruralité.

Gamarthe

Le chemin quitte enfin les bords de route départementale, tant pis je ne ferai qu’apercevoir le château de Lacarre, démarré au XIIe siècle, et un moment propriété du Maréchal napoléonien Harispe.

A Bussunarits-Sarrasquette le chemin du Piémont nous rejoint, pour filer par Saint-Jean-le-Vieux. Ayant déjà emprunté ce dernier sillon, on vient me récupérer en auto pour déjeuner au Col de Gamia, avant de gagner Garazi.

Ici la Zézette (le TER Bayonne/Saint-Jean-Pied-de-Port) dégueule ses hordes de pèlerins internationaux qui démarrent la saison du Chemin de Compostelle. Car c’est la Semaine sainte !

Mais je leur laisse ces étapes à 500 marcheurs /jour. À bientôt pour un prochain et plus confidentiel Camino64 !