Chemins de Compostelle, Voie de Vézelay depuis Hagetmau – Argelos – Sault-de-Navailles – Sallespisse – Orthez – Ste-Suzanne – L’Hôpital d’Orion – Burgaronne – Andrein – Sauveterre-de-Béarn – Guinarthe-Parenties – Osserain-Rivayrette – Arbouet-Sussaute – Aïcirits-Camou-Suhast – Saint-Palais – Publié dans LSPB en 05/2023
Vézelay, Vézelay, quelle idée de faire partir un chemin majeur vers Compostelle depuis un village bourguignon de 433 habitants !
Or depuis l’an 858 on y compte un monastère important, puis une abbaye supposée abriter les reliques de Marie-Madeleine. Un prestige intact depuis le Moyen-Âge. Et puis la voie limousine («Lemovicencis», ici en vert) traverse ce que les géographes appellent la « diagonale du vide », une bande peu densément peuplée de l’hexagone, un axe Lorraine/Landes où donc a minima le pèlerin peut cheminer en paix.
Je décide de rejoindre le parcours à Hagetmau (TER vers Orthez, puis auto-stop car le bus a été supprimé, merci au jeune Viking de Navarrenx). Au petit matin sous crachin l’ancienne capitale landaise de la chaise est bien calme, on la quitte sans regret par des zones pavillonnaires, avant d’emprunter de longues bandes bitumées.
Comme le chemin emprunte route sur route, une réflexion philosophique majeure, digne de celle sur la primeur de la poule ou de l’œuf, m’occupe alors : les agents baliseurs du 64 ont-ils été plus prévenants, en guidant les jacquets par des chemins de terre, ou bien les autorités landaises ont-elles été plus efficaces, en ayant recouvert d’asphalte chaque voie de leur département ? La monotonie du paysage est à peine rompue par un curieux radar météo, le silence est étonnant pour un gars de la Côte, puis à Argelos on aperçoit les Pyrénées, qui nous attirent et nous crient de les rejoindre.
Nez en l’air je rate une balise, me laisse happer par les traces d’un chemin local, et me voici perdu entre charmantes collines et vallées sauvages de Chalosse. Ils auraient pu appeler cela Béarn pour simplifier, et en plus chaque goutte d’eau qui coule ici finira par passer sous le pont Saint-Esprit.
Revenu sur le chemin, celui-ci pénètre dans le 64 par Sault-de-Navailles, le village est ravissant, et au restaurant dont les cuisines sont fermées vu mon retard on me concocte cependant un casse-croûte inespéré. Un pèlerin hollandais octogénaire (nous sommes sur la ligne droite Amsterdam/Compostelle, 2500 km) fête ma rencontre à l’Armagnac, il dormira sur place mais je souhaite poursuivre jusqu’à Orthez.
Jour bougon, je râle contre ces parcelles planes et d’apparence fertile dévolues à des plantations d’eucalyptus (sur de mauvaises terres, d’accord, mais pas là !), quand les collines de Sallespisse me remettent en train. On descend alors vers une ville médiévale chargée d’histoire : Orthez, ancienne capitale du Béarn.
La Tour Moncade capte le regard de ses 31 m de haut, les maisonnettes autour sont plaisantes, un peu plus bas le refuge pèlerin « Hôtel de la lune » évoque la légende de Jean Froissart, à deux pas de la maison de Jeanne d’Albret, nous voici dans une ville historique aux vitrines empoussiérés et enseignes absentes.
Comment retrouver le lustre d’antan, du temps de Gaston Fébus, ou quand la balle orange faisait vibrer toute l’Europe ? La solution est toute trouvée, Frédéric, laisse tomber Guéthary et écris sur Orthez, je t’offre même le titre « Béarn is the new Dordogne » ! Mais vite sur la paillasse car le détour par les Luys a fait monter le compteur à 43 km parcourus.
Au matin suivant la pluie m’accompagne, le vieux pont sur le Gave de Pau tutoie la voie ferrée, on grimpe au long de l’autoroute vers une arrivée connue (Haut de Départ, du nom du quartier), puis on traverse le hameau rebelle de Sainte-Suzanne.
Le chemin est vicinal, mais tracé et urbanisé depuis toujours pour les besoins des pèlerins, comme à L’Hôpital d’Orion, statue de jacquet en prime. Ici décéda Gaston Fébus, au cours d’un banquet consécutif à une chasse à l’ours, je presse le pas par val et vaux, dans des chemins transformés en torrents. Que d’eau, que d’eau, il faudra songer à la garder dans un coin si le climat continue à s’assécher, sinon elle finit en inopportun panache face à La Barre.
Après Burgaronne et Andrein, pas le temps d’un détour pour saluer le Prince de Laàs, le Gave d’Oloron me guide vers Sauveterre, sans m’en rendre compte j’ai changé de vallée. Tour Montréal, église Saint-André, remparts invaincus et Pont de la légende (je-te-tremperai-attachée-dans-l’eau-glacée-si-tu-ne-te-noies-pas-point-menti-n’auras), un bijou monumental inconnu des hordes touristiques.
Le sage guide me conseille de dormir ici, mais les jambes accoutumées réclament leur nouvelle dose de marathon après celui de la veille : laissons les raides escaliers et continuons vers Saint-Palais, à peine 15 km supplémentaires mais avec comme préalable une nécessité impérieuse : manger !
L’Auberge du saumon (celui remontant les gaves à la nageoire, pas son cousin encagé dans les fjords) a baissé le rideau, je me fais à l’idée d’un jeûne forcé quand je repère des véhicules utilitaires garés sur la portion d’un giratoire : dans un bric à brac inattendu, Patrick propose en famille, dans son Cabanon du Rond-point des Glaces, produits régionaux, épicerie de dépannage, et surtout généreuses assiettes pour ouvriers, transporteurs de bestiaux ou pèlerins affamés.
Ragaillardi je traverse Guinarthe-Parenties puis le Saison, le Gave souletin qui fait « frontière » … Sapristi, entrer en Pays basque se fait ici en toute douceur, Osserain-Rivayrette projette la tour de son château aux airs de grand moulin, puis la candeur de ses maisons. Vite on repasse par champs et bois, et l’entrée en Basse-Navarre se signale comme il se doit : avec un gros caillou !
Ici la borne de Pausasac fixe depuis 1395 les confins de Soule, Navarre et Béarn, mettant fin à des querelles de parcours de pacage. Et aurait accueilli en 1462 un sommet entre roi de France, roi d’Aragon et vicomte de Béarn, qui attribua plus tard la Navarre à celui-ci. Bref un caillou chargé d’Histoire.
Comme nous traversons Arbouet-Sussaute, le paysage se fait basque : collines aux formes arrondies, troupeaux à l’herbage, Pyrénées bleutées au loin … Et comme je coupe par la RD au droit d’une zone d’activité, je retrouve la même sensation de dynamisme, agricole, artisanal ou industriel. Comme si la Côte basque était dévolue à la consommation, et son intérieur à la production. Longue descente vers Saint-Palais, son hôpital, son centre-bourg bien équipé … D’ici on peut continuer à pied vers Saint-Jean-Pied-de-Port, par Gibraltar et Ostabat, mais je viens de le faire par la Voie de Tours.
Et donc retour vers le BAB par une belle surprise : pour 1€20 la ligne de bus 11 vous trimballe entre Tardets, Saint-Palais, et Bayonne /place des Basques, en traversant de somptueux paysages. Une autre idée d’excursion à petit prix !