Chemins de Compostelle, Voie d’Arles depuis Simacourbe – Abère – Gabaston – Morlaàs – Buros – Pau – Lons – Lescar – Artiguelouve – Lacommande – Monein – Estialescq (Lasseube – Escou – Escout) Précilhon – Goès – Oloron-Sainte-Marie – Publié dans LSPB en 06/2023
La « Via Tolosana » (ci-dessous en rose) est ce chemin de Compostelle qui depuis l’an 900, au départ d’Arles et via Toulouse, franchira les Pyrénées au Col du Somport, le seul point central de la chaîne à rester accessible toute l’année (sauf accident météo). Après Jaca il rejoindra le « Camino francés » à Puente la Reina-Gares. Ayant récemment emprunté le Somport en auto par le tunnel de Canfranc, je m’offre donc un bref parcours piéton exclusivement béarnais, des confins du 65 à Oloron-Sainte-Marie.
Depuis Pau, pour remonter sur le chemin d’Arles, il y avait une solution via Tarbes et Maubourguet, je l’abrège en empruntant un mini-bus de la Région direction Lembeye. Il faut le réserver la veille, c’est très simple une fois qu’on a compris. Pas le temps d’aller jusque Anoye, le chauffeur me dépose à Simacourbe, direction Abère.
La terrasse alluviale est scrupuleusement plane, quand la chaîne des Pyrénées tente de nous impressionner de ses sommets. Le Pic du Midi de Bigorre crâne un peu avec son antenne hectométrique posée à 2876 m de haut, et veut nous faire croire que nous sommes ici chez lui. Mais nous ne faisons qu’en tutoyer les rivages, au loin au couchant on aperçoit la douceur des monts basques, il faut le rappeler aux gens des Hautes, ici les Pyrénées sont atlantiques.
Le paysage est inattendu, des vallées couvertes de bois, dont on imagine aisément jaillir Sire Godefroy et son Jacquouille, alternant avec des plateaux aussi plans que soigneusement cultivés. Mais pas de Sarrazin en 4L jaune de La Poste, je me fais juste la réflexion que 80 % des rares voitures ont des plaques exogènes, 43, 46, 59, il doit y avoir un raccourci sur les GPS.
Cerf et biches, bien qu’intéressés par de jeunes plants de maïs, déguerpissent à mon approche, et ce sera la marque de ce parcours : passer loin des villages et ne voir presque aucun humain, comme s’ils étaient partis une fois le paysage bien cultivé. Après plusieurs kilomètres plein sud à biste de nas, je retrouve enfin vers l’ouest le balisage du GR chemin de Saint-Jacques.
Tondeuses et rotofils rivalisent dans leur concert thermique, mais le résultat est épatant, le chemin vers Morlaàs est soigné comme le jardin d’un retraité de l’aéronautique. De temps en temps un panonceau raconte l’histoire d’un illustre ancêtre local, Centulle, Corisande ou Gaston.
On entre dans l’ancienne capitale du Béarn (il y eut d’abord Lescar puis ensuite Morlaàs, Orthez et enfin Pau) par une zone pavillonnaire, puis apparaît l’église millénaire « Sainte-Foy » au portail rénové au XIXe siècle. Ici on battit monnaie (le sol morlan) dans tout le Moyen-Âge. Le refuge est un peu plus loin, attenant au camping municipal, j’y serai seul ce soir, dîner au kebab, chaîne de vidéoclips stambouliotes en prime.
Au matin, à l’heure où les tourterelles vocifèrent et les lycéens maugréent sous les abribus, je trouve de quoi prendre un café et fissa direction Pau. Le balisage prendra à nouveau grand soin d’éviter tout centre-ville, y compris celui de notre Préfecture.
Dans le bois palois de Bastard, sous de magnifiques frondaisons survolées par les zincs d’Uzein, un étonnant croisement entre 3 chemins pluri-millénaires : le « roumieu » des pèlerins, « l’ossalès » des bergers d’Ossau venant faire brouter leurs bêtes l’hiver dans la plaine (et jusqu’en Pays basque), et enfin le fameux « Cami Salié », route du sel depuis l’Antiquité romaine.
Ensuite on passe sur l’autoroute entre centre d’entraînement hippique côté Sers et hippodrome côté Pont-Long, on salue Zénith, Palais des sports et Jai-alai, et direction plein Ouest par Lons. Piétons et cyclistes sont ravis de partager des pistes impeccables, en comparaison on peut trouver l’aménagement de certaines villes de la Côte beaucoup plus foutraque.
Une fois franchi le gai ruisseau de l’Ousse des bois, Lescar déroule ses propres maisonnettes, le centre historique tarde à venir, enfin au détour d’un porche et d’une rue, une terrasse panoramique se révèle au soleil. Vue sublime sur les Pyrénées, centre-ville chargé d’histoire dominant une plaine plus fonctionnelle.
Depuis l’époque gallo-romaine, les Beneharni y ont installé leur capitale, depuis 1062 l’église une cathédrale dédiée à l’Assomption de la Vierge (sous gouverne actuelle de l’évêque bayonnais), et même l’Éducation nationale son école normale de formation de nos instituteurs, pendant plus d’un siècle ! Étrange destin des capitales déchues, où demeurent toutefois le siège d’Euralis (coopérative agricole béarnaise) et quelques temples païens de la consommation.
Une fois passé le Gave, nous entrons dans l’appellation Jurançon, 1200 ha de vignes en petites parcelles dispersées, du blanc sec ou doux , vinifié en coopérative à Gan ou bien chez eux par 60 vignerons indépendants. La leçon est bien apprise car après Artiguelouve et via de superbes paysages, en face de la maison des vignerons, on découvre la commanderie de Lacommande.
Autre petit bijou architectural et historique blotti dans une discrète vallée depuis les années 1100, l’ancien hôpital jacquaire et l’église Saint-Blaise sont le souvenir le plus intact de l’influence révolue de l’hospice Sainte-Christine-du-Somport (élevé au rang de celui de Jérusalem par Aymeric Picaud, premier conteur des Chemins).
Pour faire bref, sur cette voie transpyrénéenne immémoriale, au fil du développement du pèlerinage de Compostelle puis de la Reconquista espagnole, tout un réseau d’hôpitaux est fondé de Auch à Jaca, puis démantelé par le mouvement de la Réforme. Détachée du village d’Aubertin, la commanderie en est un important vestige, et a donné son nom à la commune, qui perpétue ce souvenir en gérant un gîte pèlerin particulièrement accueillant.
Ce soir nous sommes 6 dont 3 du département, car le vrai point de départ du Chemin, c’est depuis chez soi. A potron minet je quitte le dortoir endormi, et reprends la marche par bois, forêts, bosquets et futaies … sur un malentendu de balisage, je découvre une route pleine crête et me laisse happer par la beauté du panorama, les Pyrénées en spectacle dans les confins de la vaste Monein. Je poursuis mon détour vers Escou pour y saluer un sage, puis par Escout, Précilhon et Goès où je retrouve le Chemin et puis entrer en bon pèlerin à Oloron.
C’est jour de marché autour de la mairie, les toits d’ardoise de la sous-préfecture brillent au soleil du printemps, et partout on rappelle que le chemin fut aussi, dans l’autre sens, celui de l’exil de milliers d’Espagnols fuyant la guerre civile. Je reviendrai un jour passer le Port, en attendant retour vers Pau en autorail. Sous le Bèth cèu, le beau ciel !
