Publié sur LSPB le 4 octobre 2024

S’il devait rester un seul sujet de consensus apparent en ce bas monde (mon cher Michel, de quel équipage t’es tu entouré ?), ce serait probablement l’impérieuse, essentielle et urgente nécessité de décentralisation, déconcentration, rapprochement des territoires, bla-bla-bli et bla-bla-bla.

Or l’expérience me conduit à me méfier des miracles et autres Arlésiennes, et à ne regarder les phénomènes que dans l’œil du pragmatisme.

Certes il y a la réussite de la décentralisation chez nos amis et voisins du Pays basque d’Espagne, ainsi qu’en Navarre, avec un développement économique et humain hors norme, des infrastructures et services publics de premier plan, des systèmes sanitaires et sociaux dignes des pays scandinaves, bref un extraordinaire succès qui fait rêver.

Mais cela ne veut pas dire que la décentralisation marche à tous les coups ! Car le même système, dans d’autres autonomies espagnoles, a pu produire dépenses inconsidérées, corruption et collusions en tout genre.

Pour autant, pourrions-nous transposer chez nous le fonctionnement de nos voisins ?

Il y a d’abord un problème de mode de scrutin, car autant outre-Pyrénées, la proportionnelle intégrale, appliquée du plus petit village jusqu’à la gestion des autonomies, oblige à des coalitions programmatiques, avec parfois le 2 et le 3 qui s’unissent face à celui arrivé en tête à une élection, autant notre scrutin avec prime à la majorité, fait de chaque édile un potentat quasi inexpugnable.

Et pour peu que l’on tombe sur une personnalité un peu retorse, elle pourra, en toute légalité, faire passer les principales décisions hors le regard des oppositions, remisant celles-ci au triste commentaire de mesures prises d’autorité. Et en manœuvrant bien la communication, faire de chaque réélection une formalité.

Pas de contre-pouvoir des oppositions, il pourrait bien y avoir celui des médias : or ceux-ci, traditionnellement en position de monopole, courent après les rentrées publicitaires, et quelles que puissent être les qualités de leurs journalistes, n’ont ni le temps ni les moyens de l’investigation, de l’enquête, de la recherche d’une autre vérité que celle du courant officiel … Heureusement qu’il y a les fouineurs bénévoles du CADE ou de Ramdam, si pointus en leurs domaines !

Sans compter la lenteur et la complexité de la justice administrative, qui en font un rempart bien nébuleux face à des décisions parfois abruptes.

Des collectivités sans contre-pouvoir, grisent certains personnels à des carrières sans fin, avec des cumuls de mandats à l’instant T (untel cumulant huit charges rémunérées simultanées, quelle capacité de travail, quel dévouement !), dans le temps (combien de maroquins successifs ?), et même au delà de sa propre personne, avec la tentation du népotisme (faire élire ses propres enfants), qui touche de nouvelles familles locales comme au plus profond des régimes africains. Alors qu’à Vitoria le lehendakari Urkullu, en pleine force de l’âge et malgré ses succès, a laissé sa place après 12 ans au pouvoir …

Comment souhaiter plus de décentralisation, à l’égard de politiciens qui la réclament à grands cris, et veulent déconcentrer Bercy ou Matignon, mais pour plus de recentralisation rue François de Sourdis, avenues Jean Biray ou Maréchal Foch ? Dans ce cadre là, on peut trouver rafraîchissante, la permanence de fonctionnaires d’État, aux recrutement et carrières à l’abri de toute influence locale. Enfin en principe.

Bref, il y aurait grand intérêt à décentraliser beaucoup de décisions en France, mais à la condition expresse que les élus locaux se comportent de façon adulte.

Déjà en laissant plus de responsabilité au terrain et aux citoyens, et en ne tentant pas de tout administrer.

Et puis en optant sur des carrières plus cadrées, dans leur durée, leur réitération et leur rémunération.

Pourquoi pas, revenir sur les interdictions de cumul des mandats, et autoriser à nouveau les sénateurs ou députés-maire, mais pour deux échelons simultanés maximum (local, intercommunal, départemental/régional, ou national), une limite à deux mandats identiques successifs, et une rémunération globale limitée à celle de nos parlementaires ? Le maire de Donostia-San-Sebastián gagne 6000 €/mois, ce qui semble honnête à tous égards, alors que chez nous il faut cumuler 4-5 postes pour arriver à ce chiffre, avec la tentation d’en cumuler encore d’autres pour grimper à 8000 ?

Plus de responsabilités, pour un personnel politique bien rémunéré, mais qui sait s’effacer une fois son apport rendu à la collectivité, voilà une relation adulte que méritent notre pays et nos concitoyens. Avec un financement normalisé des médias locaux, chaque collectivité donnant un montant par habitant, réparti sur divers médias selon leur audience, au nom du pluralisme. Et quelques moyens en plus (le prix d’un rond-point) pour fluidifier notre justice administrative.

Pour une saine et vraie décentralisation.