Publié sur LSPB le 18 avril 2025

Retour d’un bref séjour à Dakar, pour affaires avec mon vieux compère Tidiane, rencontré dans des temps prescrits sur les marches du lycée de Bayonne. Un moment où histoire et géographie se rejoignent, m’offrant de nouveaux regards sur certains des enjeux géopolitiques du moment.

Le vol direct part de Bordeaux, il se remplit de Sénégalais girondins rentrant au pays, ou de retraités aquitains, convaincus de leur droit acquis à une vie de loisirs ; il en reviendront avec le crâne luisant, ou bien tressé de nattes.

Après la forteresse enneigée des Pyrénées, l’Espagne exhibe fièrement ses retenues d’eau hivernales remplies à ras bord, puis le Maroc est vert comme un golf irlandais, même les premières dunes sahariennes sont striées de cours d’eau imaginaires, il a plu 50 jours en deux mois dans le Sud, contre 3 jours en Allemagne. Répit après des années de sécheresse ici, ou d’inondations là.

Bientôt 400 ans de relations entre France et Sénégal, basées sur une géographie très simple : parti de France on dépasse la Péninsule ibérique, le Maghreb, le Sahara, et le premier port accueillant est à l’embouchure du fleuve Sénégal.

Un axe aisé pour de premiers colons fondateurs de Saint-Louis-du-Sénégal, au moment où Louis XIV se mariait à Saint-Jean-de-Luz. Puis une route majeure pour la traite négrière vers les Antilles, poussée sans vergogne par les vents alizés. Plus tard la voie héroïque des pionniers de l’Aéropostale, puis l’axe naturel des « canneurs » luziens pêcheurs de thon, des babas cools exportateurs de 404 d’occase, ou des pilotes basques du Rallye des Cimes, premiers engagés du Paris-Dakar. Une route d’échanges et coopération, économique, culturelle, humaine.

Mais aussi l’axe du sacrifice pour les soldats « tirailleurs », la route de l’exil des émigrés, la voie de tous les dangers pour les migrants passant par les Canaries et que l’on retrouve sans papiers dans nos rues. 5 heures assis pour aller du nord au sud, 5 mois de dangers dans le sens inverse.

Atterrissage au nouvel aéroport Blaise Diagne, du nom de ce premier député français noir africain : natif de Gorée, une des « quatre communes » historiques avec Saint-Louis, Dakar et Rufisque, dont les habitants possédaient de droit la nationalité française depuis l’Ancien régime, il fut élu député dès 1914, et mourut de tuberculose en 1934 dans une maison de santé de Cambo-les-Bains. Le climat parisien avait eu raison de ses poumons de soleil.

Vers Dakar la nouvelle autoroute à péage a été concédée au français Eiffage, comme si la concession de services publics était la dernière activité économique que nous soyons capables d’exporter ici. Car plus loin le nouveau stade a été bâti par des Chinois, la salle couverte par des Turcs (ou bien l’inverse), tandis que les nouvelles résidences sont confiées à des promoteurs marocains. Dès qu’on entre en ville la vie est partout, l’humanité grouille, livreurs, marchands, gamins, piétons, ânes et chevaux, camionnettes et motos, les marques japonaises et coréennes abondent, seules quelques Peugeot largement amorties témoignent de gloires anciennes.

Par solidarité avec mon ami en fin de Ramadan, je décide de jeûner comme lui, me permettant cependant de boire un peu d’eau. Le corps s’habitue très vite, et à peine le soleil couché il s’agit de « couper » d’un café-dattes-tartines, avant de dîner un peu plus tard. La famille parle wolof mais les plus jeunes plutôt français, car c’est la langue enseignée à l’école, seul vecteur commun face à 10 parlers traditionnels, et plus pratique sur écrans et réseaux sociaux.

Le lendemain nous quittons les brises du rivage pour la chaleur de l’intérieur, un chantier (rocambolesque) à Thiès chez un universitaire enseignant aux USA, puis cap au Nord par un cordon de villes brûlantes … A chaque fois le centre accueille un marché débordant de vie, à l’inverse de nos centres muséifiés et périphéries embouteillées ; la jeunesse est partout, la natalité de 6 enfants par femme, 4 fois plus que chez nous. Mon copain râle que les seuls arbres, à l’ombre si précieuse, ne soient plus replantés depuis le temps des colons, ou que les mandarines soient marocaines et les mangues de Guinée.

A Saint-Louis nous dînons chez un militaire en retraite, intarissable sur les missions d’interposition onusiennes de l’armée sénégalaise, puis dormons dans un centre de formation pan-africain sur la culture du riz, preuves que la coopération internationale est nécessaire, photo de Blinken à l’appui (à retirer d’urgence avant rétorsion trumpienne). Le lendemain c’est visite au Prytanée (où mon copain fut interne), puis après consultation de diverses sources (l’Islam sénégalais repose sur différentes « confréries », multipliant les possibilités d’interprétation), il fut décidé que la lune étant bien apparue, nous pouvions mettre un terme définitif au jeûne et aller bruncher à l’Hôtel de la Poste.

Comme son nom l’indique, celui-ci est en face de l’édifice postal art-déco, tandis que l’hôtel est un bijou d’architecture coloniale, avec bar safari, magnifique patio intérieur, et extraordinaire salle de petit-déjeuner : ici on rend hommage à l’Aéropostale, compagnie postale internationale des années 1920, reliant Toulouse à l’Amérique du Sud par sauts de puce d’hydravions, de plan d’eau en plan d’eau. Avec des pilotes comme Mermoz ou Saint-Exupéry, et un fondateur, Pierre-Georges Latécoère, industriel bagnérais et toulousain visionnaire, qui créa l’usine (Bréguet / Dassault) d’Anglet pour profiter du plan de l’Adour, et acheta le Pavillon Royal à Bidart. A Saint-Louis on parle encore de l’hydrobase, tandis que le reste de la ville, patrimoine Unesco, est déglingué, comme abandonné depuis que la capitale est partie à Dakar.

Chemin du retour, nous parlons de cet Islam répandu « partout où le cheval pouvait passer », et rions de la rencontre avec ce Suisse arrivé en vélo électrique, ou de ce Français venu à mobylette, porté par les bontés de Pôle emploi. Je regarde tristement ces sacs en plastique s’accrochant aux branches de chaque épineux, souillant un paysage de soif. Nous irons ensuite visiter une plantation, puis plus tard fureter sur le port de Dakar (on y trouve encore un thonier immatriculé au quartier maritime de Bayonne, à côté d’une armada coréenne), et enfin visiter des centres de formation, avant de préparer le Korité (version locale de l’Aïd-el-Fitr), la fête consécutive à la fin du Ramadan.

Je laisse les hommes partir prier, arborant des costumes traditionnels flambants neufs, avant le gueuleton du midi. Mais le soir la mondialisation reprendra ses droits, on achètera des pizzas dans un établissement libanais rutilant, grouillant d’adolescents en maillot du PSG ou d’Aston Villa, accrochés à leur téléphone chinois, qui sert aussi pour retirer de l’argent liquide dans la moindre gargote …

Les images et anecdotes pourraient se multiplier à l’infini, donnant un éclairage réaliste sur beaucoup de problématiques de la société française, attisées par les idéologues de tous extrêmes.

En peu de mots, concluons que…

La France conservera pour toujours un lien indéfectible avec ses anciens colonies, ne serait-ce que par la langue et l’organisation administrative, et aussi tout type de relation humaine ou d’échange, comme le pratique notre Pays basque.

Ce passé colonial ne doit être ni glorifié, ni rejeté, il a correspondu à un moment de l’histoire mondiale, comme les Romains ou les Francs nous envahirent un jour. Alors que d’autres nations s’installent et commercent sans pudeur.

La lenteur du développement économique de ce sud là, son dynamisme démographique, et les dangers du changement climatique, peuvent faire craindre des vagues migratoires, aussi ardues à empêcher, qu’impossibles à recevoir.

N’étant adepte ni des barrières, ni des tapis rouges, je ne vois qu’une issue d’espoir : alors que la relation avec notre allié américain de cent ans toussote, vivons pleinement le lien avec nos alliés multi-séculaires, ancien empire et nouveaux marchés, pour échanger, développer, investir, croître ensemble et relever les défis de demain !