Publié sur LSPB le 18 octobre 2024
Dans un précédent épisode, volontiers provocateur, j’évoquais les limites d’une décentralisation mal fagotée. Or pendant que les partis, à Paris, semblent tous se tenir par la barbichette dans la recherche d’un impossible consensus budgétaire, nos collectivités locales vivent cette interdépendance depuis des années. Intéressons-nous aux causes de ce gloubilboulga administratif, dans le pays qui forme prétendument les plus brillants hauts fonctionnaires.
Dans un monde idéal, un responsable de collectivité est élu pour s’occuper des affaires publiques, levant l’impôt pour pouvoir en assumer la charge : il y a une relation lisible entre territoire, compétence, impôt et citoyen. Parfait.
Mais ce monde idéal s’est trouvé bouleversé par une série de mesures administratives, aux origines obscures et comme résultat une rare complexité.
Autrefois en effet les communes levaient la taxe foncière sur les propriétaires, la taxe d’habitation sur les occupants, la taxe professionnelle sur les entreprises, et l’État abondait en versant la dotation DGF selon la population. Limpide, mis à part la taxe « ordures ménagères » payée par les propriétaires, qui doivent ensuite la répercuter aux occupants. Mais ça fonctionnait.
Or première mesure, on a demandé aux communes de se regrouper en communautés diverses (les EPCI), qui collecteraient désormais la Taxe professionnelle. Pas idiot pour créer des économies d’échelle (en théorie!), mais aussi éviter la concurrence entre communes, avec ces cas injustes d’une ville centre qui finançait de lourds services, tandis qu’un village périphérique récupérait toute la TP depuis qu’il accueillait chez lui un centre commercial ou une usine. Donc une sage mesure.
Si ce n’est que la taxe collectée au moment du passage en EPCI, est réaffectée automatiquement à la commune qui la levait précédemment. Et donc chaque commune du Pays basque qui accueillait depuis toujours une activité économique, continue de recevoir chaque année le fruit de son ancienne taxe auprès de la CAPB, ce qui n’est pas le cas des nouvelles implantations. Au lieu d’un projet commun, l’EPCI apparaît donc d’abord comme un guichet où l’on va récupérer ses petits sous pour ses propres intérêts.
Ensuite Nicolas Sarkozy a détricoté tout le système, en changeant la TP en CFE et CVAE, puis en réaffectant des parts de TH ou TF, voire TVA, entre départements, région, etc. Avec pour résultat un changement de « modèle économique » des collectivités. Par exemple aujourd’hui, notre département pleure la baisse des droits de mutation, précédemment dopés par le révolu boom immobilier, mais avec lequel il doit financer des mesures sociales, qui n’ont rien à voir. Comme si vous financiez une cantine avec un péage routier. Puis François Hollande, qui passait par là, s’est dit que les communes dépensaient trop d’argent, et il leur a sabré la DGF.
A son tour, Emmanuel Macron a pris la mesure (démagogique) de supprimer la Taxe d’habitation, mais que notre État (ruiné) continue de compenser aux communes. Et comme de plus certaines villes touristiques ont majoré la taxe d’habitation des résidences secondaires, on se retrouve avec des habitants qui ne payent plus l’impôt, alors que les non-habitants payent une taxe d’inhabitation. Un élu de gauche se plaignait de cette perte de sens, entre des habitants consommateurs de services qu’ils ne financent plus. À se demander (en poussant le bouchon) qui devrait bénéficier de l’entrée gratuite aux Fêtes de Bayonne ou aux parkings angloys …
La relation citoyen/collectivité, et le rapport impôts/services, est donc totalement chamboulé par cette valse d’exonérations et reversements, compétences et compensations, aussi obscure que déresponsabilisante. Et les collectivités ont perdu leur autonomie, passant leur temps à chercher des subventions ou financements, de la poche gauche à la poche droite d’un même contribuable.
Cette tendance est encore amplifiée quand on parle de dépenses d’investissement. Celles-ci sont à la mode, car il semblerait de meilleure gestion de travailler pour l’avenir, plutôt que gaspiller au présent. Un jugement à modérer toutefois, car il est parfois meilleur de payer des infirmières, policiers ou professeurs, ou de réparer un toit, plutôt que de construire un nouveau bâtiment.
Quoi qu’il en soit, investir signifie chercher des financements croisés, au Conseil départemental, ou au Régional, ou dans les Ministères (avec l’appui des parlementaires, comme une résurgence de leur « réserve »), ou à l’Europe (avec à nouveau la Région). Ce qui vaut une première pierre, puis une inauguration, avec tout le monde sur la photo dans le journal, car chacun est en campagne permanente ! Illisible pour les citoyens, un régal pour les initiés, un casse-tête pour les 99% d’honnêtes gens qui s’investissent dans des mandats locaux.
À se demander si finalement, tout ce bazar n’a pas été cyniquement organisé, une impossible décentralisation empêchée par la complexité, pour que chacun, en lieu d’autonomie, se tienne par la barbichette …