Interview par Jean-Philippe Ségot, dans LSPB du 17 octobre 2025

Vous vous êtes toujours défini comme un homme libre, pas comme un professionnel de la politique. Est-ce encore possible en 2026, dans un contexte de listes et de partis ? Est-ce que l’expérience macroniste n’a pas refroidi les électeurs face à cette volonté d’indépendance vis-à-vis des partis ?

Libre, et radicalement libéral ! Car il n’y a pas de plus joli mot que « liberté », c’est par elle que commence notre devise nationale, c’est l’espace nécessaire pour que chacun mène sa vie, et bien bordé c’est le seul système qui fonctionne. Maintenant que les ennemis de nos libertés pullulent, c’est vraiment le moment de les défendre !

Quant à être indépendant des partis, ce que beaucoup disent désirer, je l’ai essayé à plusieurs reprises, mais vraiment ça ne fonctionne pas. Et quant à Macron, il a créé son propre parti, que comme beaucoup j’avais pris comme un progressisme, alors que ce n’était qu’un rendez-vous d’ambitieux …

Vous avez souvent appelé par le passé à « faire autrement » en politique. Mais que signifie « faire autrement » à Bidart, en 2026 ? Est-ce que vous avez toujours cette volonté d’être « disruptif » ?

Comme vous le savez, je viens du monde de l’entreprise, et dans toute organisation au monde, il faut savoir innover, innover tous les jours, car c’est nécessaire, utile et de plus assez plaisant.

Or en France, on a du mal à innover, car c’est notre administration qui a pris le pouvoir sur la politique : en Russie ce sont des espions qui dirigent le pays, aux USA des milliardaires, et en France des fonctionnaires. Depuis 30 ans et à part Sarko, tous nos présidents sont des Enarques, sans parler des ministres ! Or un fonctionnaire n’est pas formé pour innover, il est là pour la conformité, la stabilité, la continuité : ce sont des super-mécaniciens, pas des pilotes de F1 !

Et ce qui ne marche pas chez nous, c’est que la pensée administrative prend trop de place, 56 % de notre PIB est géré comme une cantine scolaire, alors que le monde est un restaurant. La France n’est pas libérale, elle est sur-administrée, les petites gens sont englués par les normes et les règles, dans lesquelles même notre administration se perd. Le bon libéralisme, appliqué à l’exemple d’un poulailler, c’est quand les poules sont libres de picorer et heureuses de pondre, et que l’Etat les protège du renard ; en France on fait l’inverse, on enferme les poules et le renard fait ce qu’il veut.

Ainsi à Bidart, avec un édile issu de la sphère publique, et de surcroît assez autoritaire, on arrive à une sorte de « dictature administrative » que je combats. Ici tout semble devoir être contrôlé, qui doit habiter à quel endroit, quelle entreprise et qui la gère, comment se cultiver ou se distraire, où se promener et avec quelle longueur de laisse. Les Bidartars commencent à s’en rendre compte, malgré un flot continu de communication, et surtout quand un des fondements de notre société, comme le droit de propriété, est mis à mal. Un pouvoir autoritaire peut rassurer au début, puis il crée de l’insécurité juridique en menaçant vos biens, en maltraitant certaines cibles. Par idéologie ou jalousie.

Or personne n’habite Bidart par dépit : habitants de souche ou nouveaux arrivants, on sent chez nous un amour du village, une belle énergie, une aspiration au bonheur de vivre ensemble, et c’est très dommage de tenter de la contrôler ou de l’étouffer. C’est un si beau terreau pour faire de si belles choses !

Et donc, quand j’entends interdiction, taxation, réglementation, subvention, j’ai envie d’être « disruptif » en disant progrès, partage, développement, bonne gestion. Plutôt Corée du Sud que du Nord ! Et donc, sans encore être candidat à Bidart en 2026, je m’y prépare. Et en même temps je travaille sur une transposition en France (et non traduction) du livre « Abundance », sensé réveiller les Démocrates américains.

Vous n’avez jamais rejoint la majorité municipale en place… Est-ce par désaccord de fond, ou par attachement à une forme d’indépendance politique ? Qu’est-ce qui a fait que vous ne vous y êtes jamais résolu ?

En premier lieu, on ne me l’a jamais proposé ! Et de plus je ne l’aurais pas accepté.

Nous sommes trop différents, par exemple ils ne comprennent pas que je puisse faire des choses de façon désintéressée. Dans ma vie j’ai beaucoup agi par passion ou amour de nos pays, comme ces 20 ans à TVPI, qui m’ont donné 1000 émotions mais ne m’ont jamais enrichi. Ou comme bientôt 18 ans d’opposant municipal bénévole. Alors qu’il suffit de rechercher sur internet la fiche HATVP du maire, on comprend vite ce que peut être le « dévouement » d’un élu cumulard.

Et puis j’observe le fonctionnement de cette équipe, où toutes les décisions sont prises dans un très petit cercle, ce qui n’est pas mon mode de fonctionnement. Il faut certes un chef pour trancher, mais d’abord écouter les autres … Alors qu’il ont su attirer de belles personnes dans leur liste, malheureusement cantonnées à des rôles de figurant. Vous comprendrez bien que je n’ai jamais voulu y servir « d’idiot utile ».

Est-ce que le rôle de l’opposition est, selon vous, suffisamment respecté à Bidart ? Ou avez-vous le sentiment que la parole critique reste marginalisée ?

Sans même être critiques, les oppositions y sont totalement marginalisées, avec un plan très calculé pour les rendre invisibles. Par exemple, nous ne sommes jamais invités aux manifestations officielles, inaugurations ou vœux du maire, qui sont pourtant convoquées par le « conseil municipal ». J’en profite donc pour demander ici au Préfet, ainsi qu’aux autres autorités républicaines, à ne plus répondre à aucune invitation venant de la mairie de Bidart, financée par le contribuable, sans s’être assuré que les oppositions y ont été conviées. Ce n’est pas une affaire de buffet campagnard, mais de respect pour nos 30 % d’électeurs.

Ici on communique sur tous les gadgets à la mode, concertation, conseil des enfants, alors que la base de notre système, savoir la démocratie représentative, est bafouée. Sans parler d’attaques personnelles d’un autre temps : pour gérer ses opposants, Poutine a le polonium, ici c’est le PLU.

Comment jugez-vous le mandat de la majorité sortante ? Si vous souhaitez vous présenter c’est que vous estimez qu’il y a des choses à changer, mais est-ce que vous reconnaissez tout de même du positif ?

Je dirais, « tout en apparences « , tout en images, en communiqués, en faux semblants.

Il y a des secteurs très bien servis, comme parfois dans des grandes villes, autour de l’enfance et de la culture par exemple. Mais on n’est pas à Levallois !

En revanche, pour les investissements, ce sont des projets très coûteux, pensés par des consultants, comme aux Embruns ou l’Uhabia. Avec certes un certain savoir-faire pour les faire payer par d’autres poches, comme l’Agglo, le Département, la Région ou l’Europe, mais en oubliant qu’in fine ce sont les mêmes contribuables !

Tout est géré d’une main de fer, avec communication tous azimuts : entre opposants, nous nous amusons d’ailleurs à « Où est Charlie », en cherchant chaque jour une nouvelle photo du maire dans le journal.

Mais ceci représente le passé, car désormais, avec des dépenses publiques contraintes, et une population qui cherche plus de transparence, il va falloir inventer autre-chose. C’est pour ça que nous sommes là.

Bidart a beaucoup changé sur un mandat. Pensez-vous que la commune a su garder son équilibre ? La question de l’identité locale est de plus en plus présente dans les attentes des habitants du Pays Basque. Est-ce que Bidart a préservé la sienne ?

Ce qui a beaucoup changé est très visuel, c’est la Place et tout le front de mer qui ont été aménagés comme pour Instagram. Le maire a beau répéter le contraire, mais avec son ancien métier de directeur d’Office de tourisme, il a complètement lissé, touristifié le paysage. Comme là ou un figuier héroïque bravait les tempêtes, on l’a abattu pour une composition de roches volcaniques et herbacées. Les visiteurs sont ravis, mais les Bidartars perdent le charme sauvage de leur commune. Jusqu’à parfois s’en sentir exclus.

La clé du Bidart de mon enfance, c’était qu’on pouvait vivre simplement dans un endroit pour millionnaires. Aujourd’hui c’est devenu très cher, avec des coins dignes de magazines déco, mais si vous sortez du trait de Côte, c’est mal fichu et parfois moche.

Notre vraie identité, c’était de permettre les rencontres, puisque Bidarte signifie « croisement » en basque. Or aujourd’hui chacun s’entasse dans son coin, et il faut redonner du liant à tout ça : se rencontrer et partager, entre tous les quartiers, les générations et les origines, voilà l’identité à recouvrer !

Le logement reste évidemment une question brûlante sur tout le littoral. Quelle serait votre méthode pour concilier habitants à l’année et pression immobilière ? D’un côté il faut pouvoir répondre à la demande de logements mais d’un autre, est-ce que l’on doit encore et construire davantage à Bidart ?

C’est vrai qui si on se contente des chiffres donnés par la mairie, on se croirait au paradis. Mais quand on cherche à se loger « normalement », ce n’est plus la même musique.

En fait la mairie cherche un seul critère, le « pourcentage de logements sociaux », qui est un élément nécessaire à toute politique d’habitat , mais non suffisant. Moralité on a un marché à deux vitesses, un « libre » devenu inaccessible, et du « social » au compte-gouttes. Et rien pour la classe moyenne, à part le BRS mais dont on n’a pas encore mesuré toutes les conséquences.

Bien entendu, il ne faut pas tout bétonner, mais ce que je n’accepte pas, c’est que des zones constructibles depuis 30 ans n’aient pas pu être bâties malgré le souhait de leurs propriétaires. On aurait pu faire le bonheur de tant de Bidartars, qui ont dû aller habiter ailleurs ! De plus je connais des familles qui possèdent plusieurs hectares devenus inconstructibles, et qui doivent aller mendier des logements sociaux ou vivre à 50 km.

Sans parler de toutes les acquisitions avec « l’argent magique » de l’EPFL : pour les 70 logements « Trois couronnes » prévus dans 5 ans dans le centre, les contribuables de tout le Pays basque auront décaissé 8 millions d’euros pour 8000 m2 de foncier, tout en abandonnant 2,5 ha situés à 1 km, achetés il y a quinze ans, jamais bâtis, et désormais placés en zone verte.

Un autre scandale est que malgré la loi ZAN, Bidart pouvait encore urbaniser 12 hectares, à peine 1 % de la surface communale : or la mairie a pris la décision secrète de ne garder que deux hectares en logement, et le reste pour la Technopole. Et donc de se priver sciemment de loger 1500 personnes, sans abîmer le paysage ou déloger d’agriculteur, près des transports, de l’océan, des commerces et services.

Je reviens d’une réunion «logement » de la plateforme Herrian Bizi : comme toujours on y a dénoncé les mêmes boucs émissaires, à savoir les propriétaires fonciers, les spéculateurs, etc. Mais rien de tout ça ici, la mairie de Bidart a volontairement/ ou bêtement laissé filer du foncier constructible pourtant déjà payé avec l’argent du contribuable. Et ruine tout le Pays basque pour en racheter à côté. Sans parler des gens qui ne se logent pas …

Créer la pénurie pour ensuite gérer le marché noir, ce n’est pas ma méthode ! A Bidart il y a donc encore du potentiel, à utiliser petit à petit, de façon raisonnée et innovante, pour le bien de tous.

Nous ne manquons pas d’idées, et savons la valeur de toute chose, autant le besoin fondamental de se loger, que la volonté, légitime et si farouche en Pays basque, de transmettre son bien. Savez-vous que certaines dispositions du PLU interdisent de diviser une maison entre enfants ? Pour réussir à loger tout le monde, il faudra remettre du bon sens, de la bonne gestion, et du respect de tous les partenaires. Sans idéologie.

Bidart est aussi, un peu malgré elle, l’emblème des questions environnementales, entre l’Uhabia et le dossier du trait de côte. Quelle place doit tenir ce sujet dans la politique municipale ?

C’est l’évidence, à Bidart la mère de toutes les batailles est de protéger notre bel écrin pour bien y vivre.

La mairie l’a bien senti après-coup, mais à nouveau avec des méthode brutales et non durables. Par exemple, je ne peux être que ravi qu’on applique peu à peu mon plan vélo proposé en 2014 et 2020 : sauf que pour créer des pistes cyclables, ils abattent des arbres majestueux ! Ou bien déversent des tonnes et des tonnes de cailloux et de béton, en plein bois classé, pour supporter le poids de 3 cyclos … quel manque de délicatesse, quelle fausse écologie !

Idem pour les falaises, où l’on interdit certains entretiens logiques ou travaux légers, et préfère laisser s’écrouler pour financer des travaux colossaux un peu plus loin.

Passons à l’agriculture, un sujet qui me passionne (à titre personnel je suis « cotisant solidaire » à la MSA). Entre Bidart et Biarritz, sur le territoire du syndicat Siazim, quatre hectares de terres avaient été expropriés il y a 25 ans pour y faire un théâtre de verdure, jamais réalisé, et le terrain laissé en friche. Une association biarrote en avait fait un sujet électoral en 2020, et Bidart vient de s’en emparer à la veille du scrutin 2026, mais pour un projet qui me révolte.

Il s’agirait de créer une « ferme urbaine », où des employés municipaux cultiveraient des légumes bio pour les cantines : or si le but ultime est louable, bien qu’un peu trop Instagrammable, je suis bouleversé par la méthode.

Car depuis le Néolithique, ce sont les agriculteurs qui nourrissent la planète, pas les fonctionnaires ! Et quel message envoyé, nos cultivateurs nous empoisonneraient, et seule la collectivité pourrait nous sauver … En plus, un million d’euros d’investissement pour un projet non calibré, des subventions pour produire à deux fois plus cher qu’en maraîchage raisonné, je considère ça comme un affront à la souffrance paysanne.

Et je ne parle pas de la dizaine d’hectares achetés ailleurs par la collectivité et qui ne sont plus exploités … Que la mairie s’occupe des embouteillages, pas de la terre ! Et qu’elle laisse celle-ci aux paysans.

Enfin, pour l’Uhabia, je reste attaché à un grand projet avec toutes les communes du bassin versant, Ahetze, Arbonne, Arcangues, mais aussi Ustaritz, Guéthary, St Pée ou Biarritz : rétablir des relations normales avec nos voisins, pour transformer toute la vallée de l’Uhabia en éco-quartier géant, en faire une zone durable exemplaire entre les pôles urbains de BAB et de Baie de Luz. Epuration, déplacements, énergie, paysages, un grand projet de croissance verte.

Vous avez toujours défendu une vision participative de la vie publique. Comment renforcer le lien social et l’implication des habitants dans les décisions locales ?

Les Bidartars ont compris que quand la mairie prétend les concerter, c’est en général pour les convaincre d’un projet déjà ficelé.

Notre méthode est totalement différente, et à ce jour, au lieu de monter une liste de godillots autour d’une ambition personnelle, ou d’idées soufflées par des consultants, nous rencontrons beaucoup de monde avec une simple question : de quoi avez-vous besoin ?

A nous de rapprocher ça de nos idées, et de bâtir un plan opérationnel.

Quel regard portez-vous sur l’Agglo et son action ?

Je n’ai jamais été « dans » l’Agglo, mais pour moi et plus que jamais, elle incarne l’envie de tout le Pays basque d’un destin commun. Je sais bien qu’il y a aussi des déceptions, mais le prochain mandat est fondamental pour réparer ce qui ne fonctionne pas. Et donc, ne surtout pas modifier le statut, mais bien travailler avec ce que l’on a. Idoki, pour le reste on verra à la fin.

Sur un plan plus personnel, vous avez été un précurseur de la télévision locale avec TVPI, à une époque où peu de gens y croyaient. Avec le recul, que pensez-vous de ce que sont devenues les télés locales aujourd’hui ? On a l’impression qu’elles n’ont plus le même succès qu’auparavant… Est-ce qu’elles encore un rôle à jouer ?

L’aventure TVPI est encore extrêmement joyeuse, alors que le secteur de la télévision locale évolue de façon bien triste.

Je ne vais pas vous rebattre les oreilles avec mon « Etat profond », cependant ce n’est pas parce que Trump est une andouille que « l’Etat profond » n’existe pas (il faut savoir écouter les extrêmes, ils font parfois de bons diagnostics, sans apporter les bons remèdes). Bref depuis les années 1990, nos « institutions » (le CSA devenu Arcom, la radio ou la presse bien installées, les télévisions nationales, certaines collectivités, [une forme d’Etat profond audiovisuel] …) n’avaient tout simplement pas envie que le secteur des chaînes locales se développe. Alors qu’il y en a eu 1600 aux USA ou 1000 en Espagne !

Elles ont donc tout fait pour que ça ne marche pas, et ceci a fonctionné. Difficulté folle à exister, obligations sur les coûts de diffusion ou de production, restrictions sur les revenus, le seul modèle qui en est sorti est celui, bien fade, de rares chaînes subventionnées par les Régions. Mais si votre financeur est institutionnel, votre contenu sera institutionnel, et personne n’aura envie de vous regarder. Et comme en plus le média TV est attaqué par internet et les réseaux, tout part à vau-l’eau … même la filiale de la Voix du Nord à Lille vient d’entrer en procédure de sauvegarde.

A TVPI, en prenant le chemin des contrebandiers pour émettre 10 ans depuis la Navarre, j’ai eu la chance de pouvoir placer le téléspectateur au centre de la chaîne, avec son ami l’annonceur. Je suis ravi que ça marche encore, et salue les équipes qui poursuivent le modèle.

Mettre du bon sens dans un service au public, voilà ce qui est durable, à TVPI ou pour Bidart !

nb : le chapeau de l’interview m’annonce candidat, alors que certes si j’y travaille, je ne le suis pas encore officiellement. Patience !