Publié dans Médiabask, 11/2019
Une banale scène du quotidien, dont certes je pousse un peu le trait en la sur-interprétant, me semble révélatrice des dérives et blocages actuels, tant dans le secteur privé que dans le public.
L’autre dimanche vers 14h, au pied des nouveaux immeubles d’Anglet, un cycliste Uber Eats livrait du Mc Do.
Rappelons que ces immeubles sont à 500m du restaurant du Busquet, et que Uber Eats est un service de livraison de repas (comme Deliveroo, etc), depuis des restaurants physiques et par des livreurs non salariés circulant avec leur propre véhicule (Uber Eats est une filiale de Uber, la société qui fait faire le « taxi », payés au lance-pierres, à des milliers de particuliers dans le monde, mais assez peu en Pays basque).
Indécrottable libéral, j’ai retenu de l’économie de marché qu’elle est le meilleur moyen de susciter la créativité et de permettre les innovations, au bénéfice du progrès humain, et aussi souvent du profit de l’entrepreneur.
Imagineriez-vous la création artistique régulée ? Bien entendu, non. Il en est de même dans l’économie, c’est la liberté qui attise la créativité. Sans compétition économique, pas de smart-phone dans votre poche !
Mais sincère humaniste, je compte sur la sphère publique pour gommer les défauts parfois générés par le système compétitif.
Or dans ce cas précis, la maison Uber sort des règles de juste compétition : non seulement elle détruit des pans entiers de l’économie classique (parlez-en aux taxis parisiens !), sous-paye des milliers de braves gens … mais perd elle-même des sommes colossales, comme 5 milliards de dollars l’autre trimestre.
A Shenzhen, la ville-usine chinoise, après 30 ans de liberté économique, les salaires sont supérieurs à ceux versés en France. Ici, la doxa libérale a fait du bien.
Mais dans le cas d’Uber, seuls les dirigeants et premiers actionnaires s’enrichissent dans un désolant casino boursier, bien éloigné de la création de valeur, vertu essentielle de l’économie productive.
Et la sphère publique, dans tout cela ? Roulée dans la farine, ou complice.
En effet les chauffeurs ou livreurs « indépendants » d’Uber ou Uber Eats ne sont pas salariés, mais auto-entrepreneurs. Comment nos si brillants énarques ont-ils pu laisser dévoyer ce statut voulu par Sarkozy pour favoriser la création d’entreprise, et qui devient ici le véhicule légal de tâcherons modernes ? Comment l’Urssaf, si prompte à dégommer une TPE ayant recours au salariat, peut-elle laisser prospérer cette mascarade venue de Californie ?
Tout simplement car ce système donne de l’activité à des exclus du monde du travail !
Tout est dit : une entreprise destructrice et avide tisse sa toile car elle supplée aux échecs des politiques publiques de soutien à l’emploi. Tout ça pour livrer de la malbouffe à 500m de son lieu de cuisson.
Des entreprises qui prospèrent sans modèle économique, des politiques publiques sous-traitées à des sociétés plus ou moins bien intentionnés, le progrès fait rage.
Entrepreneurs, fonctionnaires, et bloqués du canapé, il est temps de retrouver le vrai sens de la vie !