Chemins de Compostelle, Voie du Puy depuis Garlin – Poursiugues-Boucoue – Arzacq-Arraziguet – Louvigny – Fichous-Riumayou – Larreule – Uzan – Géus-d’Arzacq – Pomps – Castillon – Arthez-de-Béarn – Argagnon – Maslacq – Lagor – Sauvelade – Méritein – Navarrenx – Castetnau-Camblong – Charre (Rivehaute – Gestas – Nabas) Lichos – Charritte-de-Bas – Aroue-Ithorots-Olhaïby – Domezain-Berraute – Lohitzun-Oyhercq – Béhasque-Lapiste – Saint-Palais

Le chemin de Compostelle « Via Podiensis » (ci-après en brun) démarre du Puy-en-Velay, ville d’Auvergne capitale de la lentille, de la dentelle et des Gilets jaunes. Par sa traversée du Massif central, Aubrac, Quercy et de la vallée du Lot, il constitue le chemin jacquaire français le plus esthétique, le plus ancien, le mieux équipé et le plus fréquenté, 750 km jusqu’à Saint-Jean-Pied-de-Port.

Son entrée dans notre département se fait par Arzacq-Arraziguet, je déniche un autocar à Pau qui me dépose à Garlin, distante de 15 km. Ces bastides béarnaises sont connues des aficionados et l’on comprend vite pourquoi : en ces terres d’extrême-Adour le thermomètre s’affole à des sommets extremeños, terres à bétail brave avec deux nuances de vert en plus.

Garlin, « porte du Béarn », s’était fortifiée pour résister à l’Anglois qui régnait en Gascogne et Tursan, alors que précédemment et à quelques lieues, les Wisigoths avaient ravi la landaise Aire-sur-l’Adour aux Romains, avant de l’évangéliser (on y recense des évêques depuis l’an 500, 5 siècles avant Bayonne !). Bref à 100 minutes de route de la Côte, aux confins des 64, 40, 32 et 65, nous voici projetés dans une histoire inconnue.

La géographie est aussi singulière : alors que du Béarn j’apprécie, outre ses hautes montagnes, les plates vallées des Gaves dominées par des collines, ici ce sont les terrasses alluviales qui sont plates, et creusées par les vallées des Luy, Lées ou Gabas. La parfaite symétrie d’un moule à gâteau, ici des bosses, et là des creux.

Pas d’autre issue que de suivre la route, bénissant l’inventeur de l’ombre, tout comme la conduite apaisée des automobilistes locaux. Pas l’ombre d’un piéton, car c’est une constante au cœur de nos campagnes : la voiture y est totalement indispensable dans la vie au quotidien, comme les énergies fossiles pour les modèles actuels d’exploitation, entièrement organisés autour du tracteur. Si des évolutions sont nécessaires, elles devront donc être menées avec intelligence et doigté.

Plusieurs retenues d’eau car ici on ne bénéficie pas des réservoirs hydrauliques naturels des Pyrénées ou de l’Océan, et donc l’on stocke le précieux liquide. La commune landaise de Pimbo nous nargue depuis une hauteur, je me satisfais de découvrir qu’elle est peuplée de Pimbolais et Pimbolaises (merci Boucoue), avant d’entrer dans Arzacq-Arraziguet, capitale du Jambon de Bayonne car siège de son Consortium.

Deux places pour une bastide, la plus prestigieuse entourée de maisons à arceaux dévouée à la République, l’autre au Marcadieu, le marché. Le refuge jacquaire est ici tenu par des agents municipaux, qui hébergent aussi une classe verte, pas de doute ce sont de petits Basques, encadrés par de dévoués parents aux rêves de poney bleu.

Ici au moins 15 pèlerins dont plusieurs Allemands (venus droit par la Suisse), nous dînons ensemble (axoa de porc, il n’y a pas que le jambon dans le cochon) avant de filer sur la paillasse, car demain il faudra partir tôt pour éviter les chaleurs.

A l’aube on commence par contourner un nouveau lac artificiel, avant de sillonner villages déserts, champs impeccables, collines et vallées. Louvigny, Fichous-Riumayou, Larreule, Uzan (où l’on célèbre aussi l’aturine Sainte Quitterie) ou Géus-d’Arzacq, 20 km pour atteindre Pomps, premier commerce depuis le matin.

Pomps, les dessous des Béarnaises

La grange à la remarquable charpente apparente s’est convertie en épicerie-casse-croûte, pour moi ce sera salade de pâtes et fromage. Avec un voisin nous parlons des demi-finales de Top14 à Anoeta (les places ont été achetées pour Noël), mais aussi des résidences secondaires sur la Côte.

Angle de vue inédit : un peu moins de zèle, les enfants gâtés du bord de mer, d’innombrables petits appartements balnéaires appartiennent à d’innocents Béarnais, qu’il serait peut-être bon de cesser de vilipender, surtaxer ou réguler. Sinon gare à vos prochains séjours au ski !

Qu’on se le dise, on ne résoudra pas le problème du logement sur la Côte en désignant de faux boucs émissaires, et en multipliant les mesures bureaucratiques, qui en plus frappent de gentils cousins. Fini d’ânonner des problèmes, que naissent les solutions !

Je poursuis ma pérégrination par l’ascension brûlante de Castillon, puis m’incline à la chapelle de Caubin, d’où le panorama laisse à deviner vallée du Gave et monts basco-béarnais. Arthez-de-Béarn déroule son cordon urbain tout au long de la crête qui fait balcon sur les Pyrénées, je décide de poursuivre malgré l’heure étouffante, les collines s’étirent entre chêneraies et parcelles grillagées aux inquiétants logotypes (Lacq est à deux pas), avant de plonger en pente raide vers la vallée.

En Argagnon une Grannie (retraitée britannique n’ayant reçu, en 20 ans de résidence, ni leçon de français, ni information sur le Brexit) accueille le pèlerin dans son « Arrêt et aller », version anglaise du bien français « Stop and go ». Une maison comme une bonbonnière, le moindre détail bichonné, j’en parlerai à la Marquise. Près de 40 km dans les pattes, j’avale un plat de pâtes (encore !) et au lit bien douillet.

A l’aube j’honore les deux commerces fièrement plantés sur la « 117 », le café et la boulangerie, avant de longer l’église, et suivre encore la route avant un quadruple franchissement : départementale, voie ferrée, autoroute et Gave de Pau, et me voici passé du côté de Maslacq. Encore un discret village béarnais au bâti remarquable, maisons en galets, château, tour ou vieux moulin, chacun bien décrit sur un savant écriteau. Bravo.

Arrivé au sommet d’un bois de Lagor, le contraste est saisissant : la douce campagne forme en effet le délicat écrin des cheminées d’usine fumantes de Lacq, pas de doute nous sommes au dessus du chaos géologique (gisement gazier soufré et pétrolier) qui fit la fortune du département dans les années 1960, et poursuit ses activités dans la chimie, les biocarburants et le stockage de CO2.

Le chemin se poursuit via les souvenirs d’un orage récent, aussi violent que localisé : chêne tombé à terre, boue que l’on gratte du bitume qu’elle avait submergé, avant de découvrir une très jolie surprise. L’abbaye de Sauvelade, âgée de 700 ou 800 ans selon les sources, propose son dessin unique en croix grecque, merveilleusement restauré.

Je me fais la réflexion, au 5e chemin de Compostelle local parcouru en 8 mois, que c’est dans le secret des collines entre les Gaves de Pau, d’Oloron, et le Saison, que notre département cache ses trésors méconnus. Lacommande, L’Hôpital d’Orion, Arancou, L’Hôpital-Saint-Blaise et donc Sauvelade, n’ont pas la renommée du Rocher de la Vierge ou du Château de Pau, mais ils sont les témoins discrets et remarquables des 1000 ans d’histoire locale des chemins de Saint-Jacques.

Et en plus, ici pas de grand axe, et donc des paysages délicats et intacts, et de multiples petites vallées et douces collines que le marcheur dévale et escalade. Sans s’en rendre compte on est passé en vallée du Gave d’Oloron, et une fois traversé le soigné Méritein, on est rendu à Navarrenx où c’est mercredi de marché, comme depuis 1188.

Au fil de ses 10 siècles d’histoire, la ville au dessin géométrique, au droit d’un pont sur le Gave, et aux confins et conflits de Béarn et Soule, Navarre et Castille, catholiques et huguenots, fut ceinturée de remparts par un architecte italien, comme une bastide bastionnée.

Navarrenx, l’arsenal

Il y a foule à la Taverne Saint-Jacques, j’y salue un prince éponyme avant de casser une graine au PMU. Il est trop tôt pour coucher à l’Arsenal, je poursuis donc le chemin par les hauteurs de Castetnau-Camblong, où je salue parents et édile. Nous parlons de ruralité, en partage avec la proche Soule, comme de vie locale et valorisation de la manne jacquaire.

Le balisage me conduit par des bois profonds, bercés par un étrange vrombissement : pas d’inquiétude, des millions d’abeilles sont à l’ouvrage, faisant ripaille de pollens inconnus. Le compteur est implacable, comme la veille je tutoie une distance marathonienne, et commence à traîner la patte. Par chance comme il en achève de former les andains de foin séché avant l’orage, un agriculteur me fait couper par son champ et je gratte 2 km.

On devine enfin au loin les montagnes bleutées, à Charre deux bâtisses sur la crête s’avèrent parfaitement complémentaires quant au service rendu au pèlerin : dans un coin de son dépôt en bac-acier, un artisan de la cochonnaille propose durant la journée pâtés et vins, tandis que pour la nuit on peut dormir en face dans une ancienne ferme éco-restaurée avec toilettes sèches et crêpes à la farine bio.

Charre

A l’aube je fais un crochet par Gestas, village souletin qui, comme Escos et Esquiule, est culturellement basque mais administrativement béarnais. Plus loin à Lichos où je suis en parenté c’est l’inverse, la commune béarnaise s’est attachée à la CAPB car elle est naturellement attirée par Mauléon. Une leçon pour tous les chauvins, en cette vallée du Saison il n’y a pas de frontières, les humains couvent leurs racines et aiment à aimer le monde.

L’entrée en Pays basque par Charritte-de-Bas est toute feutrée, juste un panneau de signalisation bilingue à la mode Zubero. Avant Aroue le passage en bord de RD est simple et fonctionnel, une buse dans le fossé et du gravier par dessus, voilà qui concilie confort du pèlerin, écoulement des eaux, sécurité routière, économie de matériaux et bourse du contribuable. Peut-être le sens pratique d’un ancien maire, fils de musicien, paysan, et homme politique de haut vol.

Il est trop tôt pour s’arrêter au Gîte communal, je poursuis vers l’Ouest par de nouveaux plis secrets des jupons pyrénéens, où se dissimule la chapelle d’Olhaïby. Puis Domezain-Berraute, Lohitzun-Oyhercq, les panneaux sur les collines égrènent les noms à rallonge des paroisses réunies, le soleil se fait cuisant quand à une fourche, au lieu de filer Sud-Ouest vers Larribar-Sorhapuru, Uhart-Mixe et Ostabat en Basse-Navarre, je choisis d’aller dormir plus au Nord à Saint-Palais chez les « Franciscains ».

Au sortir d’un bois de chênes le panorama est saisissant, on visualise comment venus de Tours, Vézelay ou Le Puy, trois chemins millénaires convergent en Pays de Mixe, avant de passer en Cize, puis en Navarre, Rioja, Castilla-y-León et Galicia, vers le champ des étoiles, « Campus Stellarum », en bref Compostelle. Un peu de géographie locale pour 1000 ans d’histoire européenne, voire universelle.

Il faudra ensuite plonger vers la Bidouze, remonter la RD, affronter pleine face le soleil couchant sur Béhasque-Lapiste, pour entrer dans Saint-Palais, accueilli par les hospitaliers bénévoles belges au sein de l’espace Chemins-Bideak, car demain l’autocar de retour m’attend.

Saint-Palais

Chacun choisit son « chemin », spirituel, sportif ou touristique. En 8 mois j’aurai parcouru nos 5 axes intérieurs (manque la voie de la Côte, mais j’en suis riverain !) à la lente découverte de notre ruralité, de notre patrimoine naturel ou historique basque ou béarnais, et à la rencontre de nos « pays ».

Pour le plus beau des voyages, le plus proche et aimant …