Publié dans Médiabask, 04/2019
Drôle de coïncidence, lors de l’hommage rendu à un grand-oncle, resté communiste jusqu’à son dernier souffle : dans les citations de Pierre Laurent, récent patron du PCF, faites par ses camarades de section, j’ai reconnu des mots entendus quelques années plus tôt à l’occasion d’un séminaire à l’Insead, un des hauts-lieux du libéralisme économique.
« Être maître de son destin », une utopie commune aux révolutionnaires et aux Golden boys?
Dans la théorie, je crois que si. Schématiquement, le marxisme cherche à libérer les masses ouvrières de leur « aliénation », la privation des fruits de leur travail par les méthodes productivistes.
Au même titre, « l’entrepreneuriaslime » met en avant la liberté individuelle, exaltée par la création de valeurs économiques et sociales.
Mais alors, si les pensées de gauche et de droite se retrouvent dans leurs objectifs, le « en même temps » ne pourrait-il pas changer ou sauver le monde ?
Ce serait sans compter sur une autre aliénation, cette fois plus psychologique qu’économique ou sociale, c’est que le monde marche sur la tête. Et les exemples abondent !
On sait bien que les libérateurs marxistes ont souvent glissé vers l’autoritarisme.
Au même titre, les plus brillants entrepreneurs libéraux sont devenus les chantres des monopoles privés, et de la délirante accumulation de richesses.
Moteur de l’économie mondiale, la Chine pratique une drôle de synthèse entre un libéralisme décomplexé, et la main de fer du parti communiste sur la vie politique de Pékin.
Espoir d’une économie de la connaissance, le digital asservit ses consommateurs via les tunnels logiques des applications, qui négligent le libre-arbitre, ou des adhésions ou abonnements souscrits à des conditions léonines.
Pour se soulever, printemps arabes ou gilets jaunes utilisent la gratuité des réseaux sociaux, qui se révèlent être les pires machines d’asservissement des masses, par des techniques addictives et la captation des données personnelles.
Pour se défendre, les peuples font appel aux plus bavards démagogues.
Au nom de l’intérêt général, européen, national ou local, politiques et administrations inventent des normes qui entravent la liberté individuelle.
Les services publics, au nom d’un principe mal compris de rentabilité, perdent leur essence.
Plus près de nous, les zélateurs de la décentralisation la réclament à grands cris, à la condition implicite qu’elle s’arrête à leur propre échelon et renforce leur petit pouvoir.
Dans ces temps troublés, et face aux formes modernes de l’aliénation, les esprits libres doivent défendre la mère des utopies : la liberté individuelle, comme substance et ciment de l’humanité.