Publié sur LSPB le 7 novembre 2025
Cher Jean-Yves, tu sais combien je t’admire, tout comme la force de notre amitié. C’est pourquoi je me permets de manifester mon désaccord suite à ta tribune du jour, où schématiquement tu reproches à notre gouvernement de ne pas assez taxer les riches, par exemple en ne suivant pas la fixette du PS sur la taxe Zucman.
Or mon problème, ce n’est pas tant qu’il y ait des riches, mais bien qu’il y ait trop de pauvres, près de 10 millions en France d’après l’ONG Oxfam. Le grand échec de Macron n’aura pas tant été d’avoir caressé les plus fortunés, mais d’avoir oublié les pauvres. Et ils ne le sont pas devenus à cause de Bernard Arnault, pas plus qu’ils ne cesseront de l’être si on surtaxe le milliardaire. Voire même l’inverse.
Pourquoi les riches d’aujourd’hui le sont-ils autant ? Ils n’ont pas plus volé ou exploité qu’à d’autres époques, simplement leurs marchés sont devenus mondiaux, leurs marques planétaires, et la dernière fois que j’ai pu entrer dans un grand magasin en Asie, j’étais assez fier que les produits de LVMH, L’Oréal, Hermès ou Chanel, occupent tout le rez-de-chaussée. Bien loin de l’atelier de couture que Coco monta à Biarritz en son temps, et qui fut notre Canasta.
Autre accélérateur des fortunes d’aujourd’hui, c’est qu’on les évalue en fonction du cours de Bourse de leurs entreprises. Une évaluation volatile, de surcroît sur des masses sans cesse croissantes. Car depuis 30 ans des sommes colossales s’investissent en actions, épargne des retraités du Wisconsin, fonds souverains norvégien ou qatari, fortunes chinoises, et là aussi nous devrions nous estimer chanceux que nos entreprises attirent de tels actionnaires. Mieux que placer en crypto à Dubaï.
De plus le grand mérite de nos milliardaires du luxe, c’est qu’ils maintiennent des sièges sociaux et des emplois industriels en France, essentiels pour nos diplômés en marketing, les petites mains de la maroquinerie, ou les vignerons charentais que tu connais bien.
Certes, comme tout homme d’affaires en France, chacun a commis un « braquage » de jeunesse, en couillonnant l’Etat sur des promesses de sauvetage de Boussac-Frères (Arnault) ou La Chapelle-Darblay (Pinault). Mais suite à ce premier million gagné à la hussarde, la suite de leur carrière s’est faite sur la création de valeurs essentielles au pays. Pas comme Tapie qui n’aura jamais sauvé un seul emploi.
Ah certes, nos milliardaires pratiquent à haut vol le sport national de l’optimisation fiscale, en fait la version huppée d’un plein d’essence fait à Dantxaria pour bénéficier d’un écart de taxes. Et ils ne sont pas plus ou moins cupides qu’une gamine de 15 ans qui s’achète 3 robes sur Shein avec le billet que lui a donné sa grand-mère, en se voilant la face sur le coût écologique et social de son emplette.
Bref si nos milliardaires ne payent pas assez d’impôts, ce devrait être du ressort des fiscalistes de Bercy de les serrer dans le jeu de l’optimisation fiscale, pas d’un universitaire à col roulé de les vilipender autour d’une mesure démagogique.
Le sénateur communiste Gay pérore sur les réseaux à propos de tout l’argent donné sans contrôle à des entreprises : ceci est parfaitement exact, mais il serait plus efficace et rusé de moins taxer et contrôler, et de cesser de subventionner, plutôt que de rajouter une couche à nos complexités, ou de nouvelles cibles à nos rancœurs.
Le problème de la taxe Zucman, outre qu’elle veut léser l’outil de production, c’est qu’elle désigne encore des boucs émissaires, au sein d’une société fracturée qui n’en demande pas tant : ce qui est normalement le jeu des seuls extrêmes (le RN accusant Mouloud et Fatoumata, LFI désignant Bernard ou Liliane), gagne les esprits d’un parti de gouvernement comme le PS, et le place à la remorque des populismes.
Bref, taxer les riches est logique et normal, les surtaxer et les ostraciser est contre-productif et dangereux, et ne résoudra aucun problème de dette ou pouvoir d’achat.
Ces divagations nationales sur la fiscalité, c’est un peu comme notre problème local du logement : depuis qu’on taxe, contrôle, interdit les résidences secondaires ou locations à courte durée, je n’ai pas l’impression qu’il soit plus facile de se loger chez nous. Même chez nos voisins de San Sebastián, l’offre de location vide a chuté de moitié depuis qu’on y contrôle les loyers !
Appelons-donc nos élus PS et apparenté, à cesser les mesures négatives ou clivantes, et passer à l’encouragement, comme soutenir le « statut du bailleur privé », qui pourrait relancer l’offre de logements à louer en quelques semaines.
Et tu verras Jean-Yves, nous trinquerons alors à la santé de Bernard !
