Publié dans LSPB, 01/2023
Mis en lumière par « l’affaire » d’Arbonne, l’avenir du foncier agricole en Pays basque est devenu un sujet politique abordé en octobre à Uhart-Cize (conférence Safer), en novembre à Biarritz (salon Lurrama) et en décembre à Saint-Palais (Assises organisées par la CAPB). Avec en toile de fond le poids des maires ruraux dans la gouvernance de la CAPB, comme dans l’élection des Sénateurs en septembre.
Un enjeu « trans-partisan » qui rassemble gauche basque, syndicats agricoles raisonnés ou productivistes, majorité centriste ou sénateurs ivres de réélection, dans un étrange consensus qui suscite la curiosité. Entendre un ancien avocat de promoteurs, un ancien maire inspirateur d’un PLU contesté pour perte de surface agricole, ou un parlementaire conservateur, questionner le droit de propriété et s’approprier des thèmes de la gauche alter-mondialiste, voilà qui mérite une petite enquête ! Complétée par la rencontre de paysans basques et béarnais ou de néo-ruraux, pour tenter de découvrir les dessous d’une si belle concorde sur le sujet de la « terre nourricière ».
Les acteurs de l’affaire Berroeta à Arbonne, sont devenus malgré eux les « méchants » d’un film dont ils ignoraient tout du scénario. Présentés comme deux spéculateurs ennemis du monde rural, il s’agit en fait des rejetons de deux grandes familles bien connues ici depuis le 19e siècle. Lui souhaitait se séparer d’une ancienne métairie avec 11 ha de prairies, elle venait de vendre 60 ha de bois et prés à Saint Jean de Luz, et recherchait une autre propriété rurale, pour être tranquille au milieu des champs. Des manifestants ont campé sur la ferme, pas tant pour les prairies (qui de mémoire n’ont jamais nourri que quelques vaches), mais plutôt pour la symbolique de terres accaparées par des bourgeois, mais aussi pour leur prix élevé, qui peut devenir une référence pour d’autres ventes sur le secteur. Pourquoi pas. Même si l’important n’est pas de savoir qui possède des terres, mais ce qu’on y fait.
Finalement une nouvelle acheteuse est arrivée, une agricultrice en bonne et due forme qui a acquis les 11 ha « plus cher que le prix Safer, mais moins cher qu’un tracteur, et à un prix déjà vérifié dans le secteur », car elle pense que ces terres le valent et y envisage un projet rentable. Elle a utilisé la formule légale achat de nue propriété + bail sur l’usufruit + autorisation officielle d’exploitation, mais voilà que cela déplaît encore à certains qui veulent attaquer la nouvelle cession. Drôle d’affaire …
Prenons un peu de hauteur, et examinons un chiffre inquiétant : le Pays basque aurait perdu 2500 ha de terre agricole en 3 ans, ce qui n’est pas une bonne nouvelle. Mais on ne bâtit pas une opinion ou une politique sur un chiffre lancé à la hâte, et celui-ci mérite approfondissement . En effet, en imaginant que ces terres aient été urbanisées à coup de pavillons sur des parcelles de 1000 m2, on y aurait construit 25 000 maisons et il n’y aurait plus de crise du logement, ce qui est loin d’être le cas. Il serait donc utile d’en savoir un peu plus sur cette statistique.
Ensuite et comme toujours en France, face à un problème c’est toujours une nouvelle loi que l’on cherche à inventer. Certes, le légendaire droit de préemption des Safer sur les terres agricoles a parfois des « trous dans la raquette », vente de parts sociales, vente en nue-propriété, perte de caractère cultivable … Mais un chantier législatif prend plusieurs années, par exemple la loi « Sempastous » (ancien député de Bagnères) est à peine devenue applicable, et il ne faut rien attendre de rapide de ce côté.
Puisque personne ne me demande mon avis, le voici : il n’y a pas de terre sans paysan, et au lieu de toujours accuser de fort pratiques ennemis de l’extérieur, on pourrait aussi se poser la question des revenus de nos agriculteurs, parfois si faibles que certains lâchent le métier et laissent tomber les terres. 800€ par mois pour 60 heures par semaine, on ne peut qu’admirer leur courage et penser aussi à leur avenir
Pour défendre son foncier rural, le Pays basque doit donc aussi défendre ses paysans, et réfléchir à l’accompagnement de nouvelles filières à valeur ajoutée, pas seulement pour la mode des néo-maraîchers urbains, mais aussi pour ceux déjà installés, et qui entretiennent nos paysages et notre biodiversité depuis des siècles. Car là où il y a de l’argent (terres à piment d’Espelette, vignes …), personne ne vend à des non-agriculteurs !
Enfin, les collectivités basques (mairies, Agglo, EPFL) pourraient montrer leur engagement, en louant pour usage agricole les terres qu’elles possèdent. C’est fréquent à Ustaritz, en cours à Saint-Jean-de-Luz, mais sur la Côte, c’est depuis que des terres ont été achetées par la collectivité qu’elles ne sont plus cultivées et envahies d’herbes de la pampa. Plusieurs « Berroeta » parmi les plus visibles (entrée d’autoroute de Biarritz) et symboliques.
Pour ne pas toujours accuser autrui et mieux cultiver notre propre jardin.
On a retrouvé les 2500 hectares
Addendum non publié – 02/2023
Lors d’une dernière chronique sur le foncier agricole (LSPB n° 1512 du 13/01), je trouvais étrange (et inquiétant) le chiffre de 2500 hectares de perte de surface agricole en 3 ans en Pays basque, « à cause de la pression urbaine ».
Car si au lieu de les cultiver on les avait vraiment urbanisés, ces hectares perdus auraient permis de construire au minimum 25 000 maisons individuelles et de résoudre (certes de la pire manière) la crise de logement. Et le consensus étrange, avec pontes et services de la CAPB envisageant une sur-réglementation pour bouter les bourgeois hors de nos champs, député glaive utopique de la loi en main, sénateurs en campagne larme à l’oeil de la compassion (électorale).
Ces hectares sont réapparus lundi 6 février 2023 sous la plume de Marcel Bedaxagar dans le quotidien Sud-Ouest. Citant une étude de la Direction de l’agriculture, en 20 ans la Soule a perdu 3000 hectares agricoles car ses paysans ont jeté l’éponge, trop dur, pas rentable, pas de suite.
Et voilà donc, certes sur une période plus longue et un territoire plus restreint, la probable explication de cette perte de surface agricole : l’ingratitude de la terre.
Et donc, au lieu de chasser de consensuels épouvantails, occupons-nous de nos paysans ! Déjà en leur permettant de cultiver les 20 ou 30 ha achetés par les Collectivités et livrés aux ronces …