Chemins de Compostelle, voie du Piémont de Bétharram à Garazi 1/3, Montaut-Bétharram-Asson-Bruges Publié dans LSPB, 01/2023

Ne chipotons pas, même d’extraction basco-béarnaise, je suis enfant de Bidart né entre l’autoroute et la mer, et je connais mieux les rues de Paris que les chemins du Béarn ou du Pays basque intérieur. Et quand je cherche un ailleurs, c’est souvent au sud que je le trouve, outre Bidassoa ou plus avant, mais rarement à l’Est.

Toutefois, l’intuition d’un paradis perdu de proximité m’avait conduit, cet été, à fureter entre Bellocq, Salies et Sauveterre. Ici on fêtait la blonde (d’Aquitaine) et au détour de l’examen attentif d’un plan touristique (j’adore les cartes, plans et mappemondes), je remarquai l’existence d’un chemin jacquaire méconnu.

Car en sus des prestigieux chemins de Compostelle dits de Tours, de Vezelay, ou du Puy, qui se réunissent en Ostabat pour entrer en triomphe à Saint-Jean-Pied-de-Port, ou des classiques chemin d’Arles (par le Somport), du Baztan ou de la Côte, je découvrais ainsi l’existence du chemin « Du Piémont », qui traverse notre département d’Est en Ouest, tronçon de l’antique chemin de Rome à Saint-Jacques (ci-dessous couleur orange).

Outre l’aventure d’explorer le Levant, la voie, comme elle longe les Pyrénées, permettrait de profiter de vues sublimes sans avoir le soleil dans les yeux. Et puis en ces temps de résilience, réaliser un grand voyage sans quitter son département est très tendance. L’épisode pluvieux de fin septembre ayant étanché la soif de nos prairies, je profitai des excellentes prévisions de ce début octobre pour rassembler un léger bagage et m’en aller dans l’inconnu.

Le train de dimanche 19h au départ de Bayonne est bourré d’étudiants qui commutent vers Pau ou Tarbes. J’avais de sombres souvenirs de la ligne Bayonne/Toulouse, arrêt sans fin à Capvern, examen infini de clichés décoratifs de ponts ferroviaires, chaleur étouffante, odeurs de toilettes et moleskine. Mais ceci était dans les années 1980 et a heureusement bien changé.

La voiture est pimpante et file à bonne allure par Mousserolles puis les bords d’Adour. La lumière du jour tombe avant Puyoô et je regrette de ne pas avoir pris le train du lundi matin, celui qui mène les ouvriers vers Lacq ou Pardiès. Tant pis pour les yeux, j’ai en effet décidé de me plonger dans le mystère de la nuit.

Une jolie étudiante blonde est hilare devant son écran de téléphone portable. Elle n’a probablement jamais entendu parler de Bétharram, le « beau Rameau, beth arram » dont le pensionnat pour garçons constituait en mes vertes années la menace ultime de parents éreintés par de turbulents adolescents. Or dépassés Pau et Nay, l’éclat d’un clocher éclairé perce la nuit et agit comme un phare. Sanctuaire, me voilà !

Bétharram

L’arrêt ferroviaire de Montaut-Bétharram est aussi sobre, méconnu, qu’efficace. Le train qui repart m’abandonne dans un silence inédit pour un habitant de la Côte, là où l’on entend toujours une route, voie ferrée, autoroute, océan ou zéphyr. Ici seul de bruit de mes pas, ou un aboiement au loin, accompagne le kilomètre en ligne droite repéré au préalable sur internet.

Comme je m’approche du sanctuaire, je m’apprête à en photographier le pont de facture romaine, la suite de clochers et palais de foi, quand on me hèle d’une 205 Peugeot hors d’âge. Oui je suis bien ce pèlerin qui a réservé sa litière, un coup de voiture et me voici dans l’espace moines du sanctuaire, on me donne une assiette, me désigne un lit, où je m’effondre persuadé d’avoir atteint le bout du monde, là-même où je pourrai me rencontrer à nouveau.

Le réveil au bord du Gave de Pau, à l’extrême-Orient de notre département, est une renaissance. A 7h30 chacun prend son livre d’heures pour prier dans une chapelle sans décorum. Deux pères basques, et quatre venus du reste du monde, égrènent les prières, puis nous partageons le petit-déjeuner avec un touriste-pèlerin (qui lui se déplace en automobile). Nous sommes ici dans notre diocèse de Bayonne-Lescar-Oloron et échangeons doctement sur les récentes mutations en son sein.

Le Pays basque a donné jour à trois saints, le Guipuzcoan Ignace de Loyola, le Navarrais Saint François Xavier, et donc le bas-Navarrais Michel Garicoïtz, natif de Saint-Just-Ibarre, qui a déboulé en ce même Bétharram il y a environ 200 ans. Le lieu « du beau Rameau » était en effet depuis les années 1600 un lieu de pèlerinage réputé, un Lourdes d’avant l’heure, ainsi qu’une étape de Saint-Jacques.

Notre Michel y fonda un ordre masculin au retentissement mondial, la Société des Prêtres du Sacré-Coeur de Jésus, puis cet établissement d’enseignement d’intérêt régional. Le père Laurent Bacho, natif aussi de Saint-Just-Ibarre et dont un frère est en politique, m’improvise un coup de tampon sur un bout de papier (je n’ai pas le crédencial, le passeport-fétiche des pèlerins). Et il me donne des indications de déviation du chemin, que je m’empresse de transgresser.

Bétharram

En effet, le chemin du Calvaire est fermé pour travaux, mais il est si beau que je ne puis m’empêcher d’en emprunter les premières boucles. Chaque station, ailleurs matérialisée par une simple croix, est ici représentée par un vrai bâtiment, véritable palais de croyance aux sculptures chargées. Comme enfin une barrière de chantier entrave totalement la montée, je peux me retourner et admirer combien la foi, dans ce qui n’est que la banale boucle froide et humide d’un gave, a conduit les hommes à édifier autant de bâtiments dédiés au Seigneur.

Frissonnant de tant de dévotion je redescends vers le Sanctuaire, le contourne par sa gauche, et peux reprendre une ascension par la forêt vers les dernières stations du Calvaire, là où une croix mal placée s’était d’elle-même redressée, énième miracle de Bétharram. Le piémont s’ouvre alors à mes pas.

Piémont n’est pas qu’une région italienne ou une salade d’origine russe, le pied-de-mont désigne ces terres mouvementées par l’érection d’une montagne sans pour autant en faire partie, ce territoire qui n’est plus encore plaine et pas encore montagne. Notre piémont pyrénéen offre ici du côté d’Asson un splendide panorama sur la chaîne, et alterne collines proprettes et fermes impeccables. Cette observation me suivra tout le périple, nous avons la chance d’avoir une campagne totalement entretenue et vivante.

J’ai en effet pu sillonner des coins d’Afrique ou d’Amérique latine où la campagne est livrée aux mauvaises herbes ou à des flots de boue. A l’inverse chez nous chaque champ est clôturé, nettoyé ou cultivé, et de bonnes pistes empierrées le desservent. Œuvre de siècles de travail de nos Pyrénéens ou fruit des subventions agricoles peu importe, dans le cas où des tensions sur l’alimentation se feraient jour, nous possédons une campagne prête à produire plus ou mieux, arrosée chaque année par le ciel de plus d’un mètre d’eau et travaillée par les hommes.

Les bourgs traversés font contraste : beaucoup sont cossus et arborent des monuments aux morts de glaçante beauté, mais leur aspect de ville désertée aux commerces fermés me suivra tout le parcours. Autant les champs semblent animés autant ces petites villes ont perdu toute vie.

La bastide de Bruges, ainsi dénommée en égard à son homonyme flamande, est coquette et a su conserver un restaurant où une excellente omelette aux cèpes me prépare à un long parcours sans commerce ou service …

Bruges