Chemins de Compostelle, voie du Piémont de Bétharram à Garazi 2/3, Bruges-Mifaget-Sainte Colome-Arudy-Ogeu-Oloron-Moumour-Géronce-Hôpital Saint Blaise-Chéraute-Mauléon-Licharre Publié dans LSPB, 02/2023
Parti de Bayonne la veille, une nuit à Bétharram comme dans un ailleurs, une matinée de marche de vrai pélerin, et une simple omelette (aux cèpes) au goût de paradis … Mais il me faut quitter la bastide de Bruges et avancer par ses hameaux.
Saint Michel lance ses épées au sein de l’église de Mifaget, désormais commune-unie, je pense y compter plus de statues que les 125 habitants du quartier. Combien leurs ancêtres ont-ils dû avoir peur de la faim, des pillards ou de la maladie, pour autant se livrer à la grâce divine ! Au sommet d’une côte on atteint Sainte-Colome, aussi jolie qu’un village de Provence mais sans touriste allemand, avant de descendre vers Arudy, au pied de la Vallée d’Ossau.
Jean-Pierre est là qui nous surveille (c’est le surnom du Pic du Midi d’Ossau et de ses 2884 m) comme j’entre dans cette ville au pourtour pavillonnaire et aux 2200 Arudyens. La place centrale est bordée de quelques troquets dont la terrasse ensoleillée aimante d’autres pèlerins, une Hollandaise et deux Vauclusiennes. Nous convergeons vers le refuge-presbytère où officie le père Armand Paillé.
Si un jour vous doutez de la foi-sur-terre venez à rencontrer ce prélat, la foi l’habite et le transporte qu’il tente de vous insuffler sans vous y contraindre. Le généreux dîner de salade et pâtes est pris en commun, on me munit et tamponne le crédencial, on va se coucher sans avoir parlé d’argent, ce sera un « donativo » (don volontaire) à l’heure du petit déjeuner. Celui-ci est dressé pour 7 heures mais notre abbé est déjà parti, chacun a droit à une attention, y compris une barre de Twix et une médaille de la Vierge, amen Armand !
Les jambes s’agitent dans le frais matin et l’on peut entendre les bruits des dernières carrières de marbre comme on traverse un fort joli bois. Le paysage s’ouvre ensuite sur de splendides coteaux baignés de soleil puis on descend vers Ogeu-les-Bains. Ici tout est (trop) bien léché, l’église sur un linteau rend hommage au prêtre et au maire qui oeuvraient de concert un peu avant 1905, au coin d’une rue je retrouve les Lubéronnaises qui alternent en auto-stop et nous convenons de dépasser Oloron jusque Moumour.
Je ne m’étais pas arrêté dans la sous-Préfecture du bas de la Vallée d’Aspe depuis un Festival de jazz dans les années 1980. De mémoire il y avait Archie Shepp dans un gymnase, et une brasserie devant la Cathédrale, que je finis elle par retrouver. On entre dans Oloron par Sainte-Croix, un quartier peuplé de collégiens mais inconnu de l’automobiliste, que de fiers panneaux ont guidé vers une prestigieuse « rocade ». On monte ensuite une rue dont chaque commerce en rez-de-chaussée est à vendre, avant de retrouver Sainte Marie, ses évêques d’avant la fusion diocésaine avec Bayonne (gare à toi, Biarritz !) son portail et ses poteaux polychromes. Sans être urbaniste ni géographe je crois reconnaître l’effet « donut » qui mine la société française, des villes au centre vide et où seule la périphérie s’agite en voiture automobile.
Pour un supermarché et quelques emplois créés en périphérie, on a tué la vie en ville, et les collectivités s’éreintent à tenter de l’y faire revenir, à coup de mesures cucu-la-praline, boîtes à livres, jardins partagés, ou trottoirs déserts en béton désactivé. Combien nos voisins espagnols, au moins en proche Pays basque, ont été plus pragmatiques ! Ils n’ont pas choisi de bousiller leurs campagnes à coups de banlieues pavillonnaires, et ont fait des villes denses avec des bistrots et magasins au pied des immeubles. Ennuyeux en temps de pandémie, sinon et à mon goût beaucoup plus sympa que chez nous.
Une longue ligne droite réservée à d’absents cyclistes permet de gagner Moumour. Ici le tabac sèche sous de vastes hangars bardés de panneaux solaires, et la cloche de l’église sonne chaque demi-heure, sans pause nocturne. A son pied Marie-Pierre y distribue épicerie, cigarettes et jeux d’argent, presse, boulangerie et légumes … bref un convenience store qui ne tient qu’au militantisme de la septuagénaire, dont le coeur s’apitoie sur un récent pèlerin désargenté, « povrrin » ou « povrrot », avec roulement de « r » s’il vous plaît. Sylvie Oihana et Bernat Ogia nous accueillent dans leur pouponnière (pâté, salade, lentilles, flan) que nous ne quitterons qu’au chant des pèlerins, Ultreïa, Ultreïa.
Ce 3e jour je pars fort tôt, car ayant rallongé de 6 km le parcours de la veille, et celui du lendemain étant plus tranquille, j’ai décidé de fusionner deux étapes et d’aller d’une traite à Mauléon, total 30 km mais sans ravitaillement. Je ne peux quitter le Béarn sans visiter un grand-oncle à Géronce, nous parlons vie rurale et problème de l’eau. Son fils mon cousin fait de la méthanisation, il semble ridicule de proscrire la mise en réserve de l’eau l’hiver, car je le sais depuis peu : si on n’y prend garde, même l’eau de Lourdes finit à La Barre.
Les villages superbement entretenus alternent de poésie ou d’astuce, ici seule la « cabine PTT » est fléchée sur la route comme un monument à visiter, là on propose un réseau public d’auto-stop, sorte de bla-bla-carr qui roule les r. Passer de Béarn en Soule tient à traverser un long et magnifique bois drainé par le Lausset, ruisseau basque au nom gascon. C’est surtout quitter les zones cultivées, traverser d’infinis bois à palombières, se croire loin de tout quand apparaît un trésor d’humanité, remarqué par l’Unesco comme seuls 70 bâtiments au longs des chemins jacquaires français, l’église de l’Hôpital-Saint-Blaise.
Sa taille me surprend un peu, longtemps voisin de Notre-Dame-de-Paris, mais quel joyau octogonal en ce minuscule écrin ! La coupole d’inspiration mozarabe me conquiert, je finance l’embrasement d’un cierge, longe l’auberge aux portes closes pour entamer la rude ascension de la colline voisine. Hors souffle j’atteins une zone de prairies ondulées, Agur Xiberoa !
Je crois remarquer entré en Pays basque une plus forte prégnance de l’élevage sur la culture de céréales, mais simplement nous avons quitté les larges plaines des gaves pour un relief plus tourmenté. Mais ici comme en Béarn les fermes sont couvertes d’ardoise, elles semblent plus nombreuses dans les vallées bien ordonnées, ou bien trônent fièrement en sommet de crête.
Les guides m’avaient averti depuis longtemps, vous ne trouverez pas d’eau sur cette étape, mais je m’entête cependant, me croyant sur ces flancs de Rhune où les ruisseaux abondent, tandis qu’ici rien ne coule, comme si l’eau du ciel avait été absorbée par le sol poreux. Un abreuvoir bien clair me fait patienter jusqu’à cette ferme de Chéraute, où l’on remplira la gourde du manex assoiffé. Je regrette de ne pas avoir le temps de passer par Echebar, où plane le souvenir de Shibumi.
Descendre sur Mauléon est une découverte, quand je réalise que chaque incursion automobile ne m’y avait jamais mené qu’à Licharre, la commune de la rive gauche du Saison qui lui a été rattachée. Le chemin permet en effet de dominer la vallée industrielle, puis de plonger sur la Haute-Ville, le Mauléon originel de la rive droite, avec son château-fort, sa place rectangulaire, un clocher trinitaire et sa halle hors d’âge. On croise même une rue commerçante aux enseignes surannées, avant de passer le pont et d’entrer sur cette grand-place où la mairie fait face au fronton, sous bonne garde de l’imposant château de Maytie et du café de l’Europe. Marga, Jean-Michel, où êtes-vous ?
Ici la mairie est communiste et de surcroît très accueillante, on me guide vers un gîte municipal où des bénévoles viennent collecter à l’heure dite un symbolique écot. Partout dans la ville rode le souvenir des hirondelles, ces femmes d’Espagne qui venaient l’hiver coudre des espadrilles, consacrant la vocation ouvrière -et révolutionnaire- de la 7e capitale basque aux 3000 âmes. Bilbao, tiens-toi bien, tu n’as pas l’apanage de l’industrie ! A suivre …