Publié dans LSPB le 02/08/2024
Avez-vous remarqué qu’en France, dès qu’un truc ne marche pas, c’est soit-disant à cause d’une mesure ultra-libérale ?
Un tel raccourci de pensée me semble aussi léger que soupçonneux.
Léger, car on peut bien se demander ce qu’il y a d’ultra-libéral dans le pays du monde qui lève le plus l’impôt et où la dépense publique est la plus prépondérante. En gros 60% de la richesse nationale sous gouverne publique, avec le brillant résultat de services publics qui se délitent malgré 3100 milliards d’euros de dettes !
Soupçonneux, car le mot « liberté » est le premier inscrit au fronton de nos mairies, et je ne comprends pas en quoi le mot « libéral » serait honteux. Accepteriez-vous une devise, « administration, protection, imposition » ? Or c’est pourtant elle qui envahit le débat public.
Quand le monde entier s’est converti aux vertus de l’économie de marché, il n’y a guère que notre vieux pays à agiter un fond idéologique post-marxiste, selon laquelle des solutions partagées et collectivistes nous sauveraient des affres de l’individualisme et de l’avidité.
Alors que, soyons lucides, c’est bien le libéralisme qui nourrit la planète, certes avec des excès et des inégalités, des dégâts environnementaux ou une vision à court terme, mais avec une productivité jamais atteinte, qui génère des gains colossaux ! Des gains qui nous enrichissent tous, des multi-millionnaires jusqu’au financement de notre système de santé ou de nos caisses de retraite.
Que le premier militant décroissant se renseigne sur le régime des pensions en Corée du Nord, ou de santé publique en Russie ! Car c’est la liberté qui rend plus entreprenant, plus créatif, plus productif, bref plus humain.
Mais alors, pourquoi qualifier péjorativement « d’ultra-libéral » un système qui ne l’est pas, et qui de surcroît fonctionne pas mal du tout, même si on peut bien entendu toujours l’améliorer ?
En premier lieu, et surtout dans nos deux blocs extrêmes, il y a des relents de populisme, teintés de jalousie ou de ressenti social. Voire de méconnaissance ou d’incompétence. Mon voisin est plus libre et plus riche que moi, c’est la preuve que la liberté enchaîne. Un peu court, mais très efficace pour se faire élire.
Et puis il y a quand-même des réalités, cet hôpital qui ferme ici, cette administration qui ne décroche plus le téléphone là. Ce doit bien être à cause d’une mesure ultra-libérale, à preuve ces journaux télévisés qui, depuis notre enfance, nous serinent sur le manque de moyens ici, ou le besoin en personnel là.
Or voilà le grand hiatus : il n’y a rien d’ultra-libéral à fermer un hôpital, le cas échéant on pourrait souhaiter baisser la dépense publique, mais on arrive chez nous à cette immense ânerie, dénoncée par les Gilets jaunes, que plus on fait des économies sur la dépense publique, plus cela revient cher, et plus on dépense, moins ça marche !
J’ai récemment eu besoin de soins médicaux sur la Côte, et peux vous assurer que nous y sommes en pleine oasis sanitaire. Mais dès qu’on s’éloigne du littoral, on peut vite plonger en plein désert médical, y compris dans notre préfecture. Le problème n’est donc pas une affaire de moyens, mais de répartition de ceux-ci.
Autre expérience auprès d’organismes chargés du sujet majeur de l’environnement : une dizaine d’agents contactés depuis trois semaines et aucune réponse concrète. Bref pas de problème de moyens (10 agents payés par le contribuable), de politique publique (l’environnement, c’est important), ni soupçon de paresse (nos agents ont dû avoir 427 réunions en trois semaines), mais un service au public qui n’est toujours pas délivré.
Hôpital, éducation nationale, agriculture ou logement, des sujets problématiques… avec comme point commun qu’ils sont parmi les plus contrôlés par l’Etat. Mauvais gestionnaire, piètre régulateur ?
Terminons notre inventaire par le secteur ultra-régulé de I’audiovisuel (que je connais bien) et le cas Bolloré (qui m’a toujours consterné). Le problème n’est pas que le rusé millionnaire breton fasse joujou avec ses chaînes, c’est qu’il soit devenu milliardaire en enfumant les anciens sages du CSA-Arcom, en se faisant offrir des fréquences publiques pour les troquer contre la présidence de Vivendi ! Ici l’entrepreneur a joué magistralement son rôle, et les énarques du Conseil ont fait les idiots utiles. Et ont mis plus de 12 ans à s’en rendre compte …
N’en jetons plus, notre problème franco-français n’a donc rien d’ultra-libéral, c’est plus notre secteur public qui a perdu la boule et se comporte de façon nigaude. Or un petit coup de bonne gestion, et il n’y paraîtrait plus ! Et toutes les compétences existent déjà dans nos administrations pour mener ce chantier d’urgence …
Voilà la feuille de route du futur gouvernement (et qu’a totalement raté l’ami Macron) : réformer l’Etat et les administrations, avec intelligence et doigté. Et réaffecter les moyens considérables déjà mobilisés, vers des missions urgentes. Chiche ?