Chemins de Compostelle, voie du Piémont de Bétharram à Garazi 3/3, Licharre-Garindein-Ordiarp-Musculdy-Saint Just Ibarre-Bunus-Ibarrolle-Col de Gamia-Bussunarits-Saint Jean le Vieux-Saint Jean Pied de Port – Publié dans LSPB, 02/2023
A peine trois étapes jacquaires et déjà cette sensation unique d’être loin de tout.
A Licharre la truculente serveuse donne du Jeune homme ou Demoiselle à la table de pèlerins que nous formons, avec un cadre en congé sabbatique et deux soeurs retraitées du Midi. La nuit expédiée, l’aube est ouateuse sur la ville, et je file droit vers Garindein. Le bâton oublié au refuge est remplacé à la première haie de noisetiers, et à peine deux heures plus tard me voici rendu à Ordiarp. Un autre grand-oncle n’est pas chez lui (j’ai reconnu sa maison où je n’étais pas repassé depuis cinquante ans !) mais devant l’école qui bruisse d’enfants l’église est ravissante, on s’y rend par un pont sur le ruisseau, détail d’architecture et de foi. Passé le fronton le chemin s’élève.
Dérangeant à peine quelques troupeaux de vaches blondes et des septuagénaires en VTT électrique, et tout en me gavant de mûres, je me hisse au Col d’Ehüsa, voisin du routier Osquich, sur la commune de Musculdy. Une chapelle posée sur la crête domine toute la vallée et capte le regard, juchée au bord d’un précipice. L’occasion est trop belle de rallonger l’étape d’une heure pour gagner les 706 m de la chapelle Saint-Antoine. Très simple avec son clocher aux trois pointes (dit trinitaire,fréquent en Soule), sa nef est vaste comme une église et accueillera tout un village le jour venu.
Un écriteau explique que le roi de Navarre (nous sommes frontaliers de la Basse et de Soule) fit édifier cette chapelle après avoir pu réconcilier les seigneurs Bas-Navarrais de Luxe et Gramont. Muskildi terre de paix, avec Saint Antoine, une stèle pour les morts en Algérie, et même la pastorale Simone Veil en 2022, je rosis en me disant qu’ici est née une de mes arrière-grands-mères. Mais il est temps de quitter la Soule pour une descente casse-pattes vers le canyon des sources de la Bidouze (qui coule ensuite vers Bidache), et puis un long cheminement, de figuier en figuier, complétant ainsi un déjeuner de pur cueilleur, vers la Basse-Navarre et le village de Saint-Just-Ibarre.
Ici Marco tient un gite dans sa propre maison et selon ses propres règles. Heureusement des pèlerines avaient réservé pour la nuit sinon il serait allé cavaler ailleurs. En quatre phrases nous réalisons avoir des dizaines d’amis ou connaissances en commun ; homme des montagnes il moque la dérive des millionnaires de la Côte. Cinq jacquets rassemblés il nous ouvre l’église, où naquit la foi de Saint Michel Garicoïtz, comme le rappelle un vitrail et un reliquaire. Même les saints finissent os. La galerie en bois est très curieuse car elle n’occupe pas les côtés mais seulement le fond de la nef, comme dans un théâtre subventionné. Ici les cloches ne sonnent pas mais un haut-parleur recrache le fruit d’un enregistrement. Décidément.
Au lendemain matin mes pieds volent, accoutumés à leurs 27 kilomètres quotidiens, et je pars alors qu’il fait encore nuit, suivant une longue étable dont on entend les bruits feutrés des vaches en plein petit déjeuner. La lumière s’est levée mais la boulangerie de Bunus n’est pas encore ouverte, tant pis mes pas me portent jusqu’à Ibarrolle. Ici le panorama est de toute beauté, le clocher et la maison noble Etchepare se détachent de la colline dont le soleil fait roussir les fougeraies. Le balisage propose de choisir entre le GR78 à droite ou le Jacquaire à gauche, je prends ce dernier choix, long ruban d’asphalte mais qui permet d’accéder au Col de Gamia.
Connu pour son restaurant (fermé à l’heure de mon passage, mais les odeurs des pré-cuissons de mise en place me chatouillent les narines), ce col est un somptueux belvédère qui annonce le terme de mes 5 jours de marche. En effet toute la vallée de Saint Jean Pied de Port est à mes pieds pèlerins, vêtue d’une simple écharpe de brume que le soleil dissipera bientôt, je ressens l’émotion de ces jacquets d’autres siècles quand ils ont pu partager ce même point de vue, dernière étape avant de franchir les Pyrénées.
Le parcours jusque Garazi a l’heur d’un dernier jour de classe, au terme inéluctable et connu. Oui ce soir je dormirai dans mes draps et la lessive sera somptueuse ; mais en attendant, ouvrons nos mirettes et saturons quelques gigas de mémoire visuelle ! Un troupeau de manex tête noire remonte sans berger vers un pré, démontrant les qualités de l’autogestion. Eclairés par le Levant chaque village se montre sous son meilleur atour. Bussunarits-Sarrasquete, son clocher et son charmant château d’Apat (où l’on retrouve le GR78). Saint Jean le Vieux et son église à peau d’ardoise, puis celle de la Madeleine au long d’un ruisseau. Le chemin zigzague entre zones rurales et dépôts construits en bac-acier. Bonjour, civilisation.
L’étape du jour est brève comme un épilogue, car le choix du Col de Gamia était un raccourci. Au coin d’un parking une voûte de grès rose se dénomme Porte Saint-Jacques, sapristi me voici déjà arrivé ! Tout ici s’emballe puisque dans la rue je reconnais l’épouse d’un copain d’enfance, chaque boutique vend son rez-de-chaussée aux touristes en claquettes et son étage aux pèlerins en godillots, tout est mis en scène pour une consommation consentie et effrénée. Car le Camino Francés qui démarre ici peut rassembler 500 pèlerins par jour, contre 5 sur mon Piémont adoré !
Je boucle ce périple de 135 kilomètres à pied par là où tout a commencé, un coup d’autorail jusqu’à la gare de Bayonne, nouveau régal des yeux par la vallée de la Nive, le gave basque. Dire le reste n’apportera rien.
A toi lecteur qui aime les conclusions définitives ou les morales à donner à toute histoire, sache seulement qu’en explorant ainsi un bout de chez-nous, mon en-moi s’est renforcé et enrichi, et je t’invite si tu le souhaites à y faire quelques pas.
Ultreïa, allons plus loin, mais en restant tout près !