Projet de réforme des retraites, trouver la sagesse – Publié dans LSPB, 03/2023

Donner de la voix sans trouver de voie et comme pour attraper des voix, le débat parlementaire sur le projet de Réforme de régime des retraites restera probablement dans les annales du pire. Espérons cependant qu’il trouve enfin un chemin de sagesse. Et puisque personne ne me demande mon avis, le voici.

L’exigence comptable brandie comme justificatif par le gouvernement est illisible. Non pas que les Français soient particulièrement dépensiers, fainéants, ou pressés de ruiner les générations à venir, car ils sont tout à fait capables de faire des efforts quand ils estiment ceux-ci nécessaires. Mais une menace de déséquilibre possible d’un régime social à moyen terme, partiellement contredite par le Conseil d’orientation des retraites, n’est plus audible. Surtout en cette période d’argent magique : crise sanitaire, en avant la planche à billets, crise énergétique, vive le chèque énergie, redevance audiovisuelle ringarde, les caisses de l’Etat compensent, taxe d’habitation trop chère, l’État rembourse les communes, etc etc. Qui peut encore croire ce gouvernement bon gestionnaire, et pourquoi donc vouloir toucher spécifiquement les retraites ? Pourquoi décider d’un îlot de rigueur dans un océan de dépenses, comme un stand vegan un jour de foire à la saucisse ?

Ni l’âge, ni l’argent ne sont importants dans cette affaire.

Car savez-vous que la retraite (à taux plein) est déjà fixée à 67 ans, et que parler de 64 ans pourrait ainsi paraître comme un progrès social ? En réalité les Français manifestent pour le maintien de « l’âge pivot » de 62 ans (au lieu de 64 voulu par le gouvernement), à savoir la date à laquelle ils peuvent partir en retraite … avec une pension décotée ! Manifester pour les retraites n’est donc pas une question d’argent, mais la seule volonté de vivre au plus tôt un temps choisi, car même le meilleur des ministres est incapable de dire quand sera le terme de nos existences. Se battre pour les retraites c’est se battre pour la vie !

Et puis, tous les spécialistes le disent, si on doit bouger l’âge de départ en retraite cette année, il faudra à nouveau modifier la loi dans 10 ans, et dans 10 ans encore.

Et quant aux régimes spéciaux, je n’ai rien entendu sur la Carel, la retraite complémentaire des élus, qui permet d’augmenter la rémunération (différée) de nos édiles sans passer par les foudres d’un vote public … et on peut la liquider dès 55 ans ! Sans parler de celle des sénateurs

Pourtant les Français adorent le travail. Il suffit de regarder comment vivent nos retraités.

Certes une minorité coince au canapé ou sur les greens de golf, mais une majorité garde les petits-enfants, organise la collecte de la Banque alimentaire, sont élus municipaux, dirigeants associatifs, aidants familiaux ou jardiniers en circuit court, ils participent de la production nationale, même si cela n’est pas toujours pris en compte dans le calcul du PIB.

Si nos concitoyens « s’accrochent » à l’âge pivot de 62 ans, c’est qu’ils ont besoin de se projeter, de préparer leur avenir, voire même de manger, quand on connaît le faible taux d’emploi au-delà de 55 ans …

Alors, on fait quoi ?

Car on est bien d’accord, si les Français commencent leur carrière plus tard pour l’achever plus tôt, s’ils travaillent moins dans la semaine, moins dans l’année, et moins dans la vie, tout en ayant déjà épuisé le ressort des gains de productivité, il y a bien un moment où ça va coincer. Par exemple quand les ouvriers chinois en auront marre de travailler pour nous au prix de deux queues de cerise, et de financer notre dette et notre « modèle » en prêtant à notre Etat. Il faut bien faire quelque chose, et vite.

Or c’est là l’erreur de syntaxe du gouvernement. Quand il veut rogner notre retraite, il s’attaque à notre possibilité de vivre, au lieu de promouvoir la valeur travail !

Promouvoir le travail, ce n’est pas obliger un maçon à monter des parpaings jusqu’à 64 ans, ou une aide soignante à faire des toilettes jusqu’au moment d’en bénéficier elle-même. Promouvoir le travail, c’est faciliter des reconversions au-delà de la cinquantaine, par la formation ou les passerelles, c’est rendre l’embauche de seniors plus attractive (en l’exonérant de cotisations chômage?), la fin de carrière plus douce, c’est privilégier l’épanouissement sur la contrainte, l’incitation sur l’obligation.

A voir si la sagesse de nos aînés inspirera celle de nos élus.